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13 octobre 2019 7 13 /10 /octobre /2019 11:49

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 1er janvier 1736

 

Maman est morte la veille de Noël 1735. Lors de mon mariage avec Jean Berrier, en avril, elle était déjà très faible. Mais je n’imaginais pas une issue aussi rapide. C’est mon père qui m’a transmis son journal. Il l’a à peine regardé. Pour lui, ces confidences étaient réservées aux femmes. J’en suis ravie. J’ai passé la fin de l’année à lire ce document.

Une écriture de qualité, une intelligence et une culture que je n’imaginais pas. Maman a toujours été très discrète. Je la découvre dans ces lignes et je suis admirative. Une lucidité, un intérêt pour tout ce qui se passait autour d’elle, de notre ville jusqu’à Paris. Je ne sais pas si je serai à la hauteur mais je vais essayer de continuer son œuvre. Mon frère, qui fait ses études à l’université parisienne, pourra me donner des informations sur l’actualité de notre pays.

Je n’ai rien dit de mon projet à mon mari. Jean est très gentil et très prévenant mais sa préoccupation principale est son commerce. Il vend des toiles. Notre boutique est située Grand Rue à Gorron. Nous habitons au premier étage. A l’arrière de la maison il y a un grand entrepôt qui donne sur l’église. Jean a plusieurs employés. Je n’aurai pas à m’occuper de ce commerce. J’ai moi-même une domestique pour tenir la maison. Je devrais trouver le temps d’écrire, ce qui n’est pas une activité familière chez moi.

 

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6 octobre 2019 7 06 /10 /octobre /2019 17:29

Le journal de Renée Largerie

Samedi 26 novembre 1735

 

Mon mari , inquiet pour mon état général, a décidé de m’offrir un voyage à Paris. Il semble persuadé que la cause première de mon état est la mélancolie. Je crois qu’il ne se rend pas compte de la dégradation de mon corps. Bien sûr, perdre ses envies, ses désirs, se répercute sur la santé physique. Mais j’ai bien peur  que je sois dans un mouvement inverse. Ma grande fatigue, les douleurs incessantes rendent ma vie sans intérêt.

Il m’a accompagné au spectacle magnifique de l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau donné  au théâtre du Palais royal. Malgré les difficultés du voyage, l’état dans lequel je suis arrivée à Paris, je dois avouer que j’ai passé une très belle soirée. La quatrième entrée dite des Sauvages m’a particulièrement séduite. J’ai encore dans la tête cet air même si je suis vite retombée dans l’état pitoyable que je connaissais avant mon voyage.

Depuis notre retour, je passe la plus grande partie de mon temps au lit. Même si je n’en parle plus, je sens la mort rôder autour de moi. Le temps qui s’enfuit m’engloutit inexorablement. Dans mes rêves fiévreux, la faucheuse me frôle avec une joie perverse. Je ne sais ce que deviendront mes modestes écrits. J’aimerais qu’ils ne soient pas perdus…

 

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29 septembre 2019 7 29 /09 /septembre /2019 11:38

Le journal de Renée Largerie

Jeudi 23 décembre 1734

 

J’ai de plus en plus de mal à lire. Ma vue devient floue. Parfois, il m’arrive de voir double. Je peux avoir, le matin en me levant, de furieux maux de tête qui, heureusement, s’apaisent dans la journée. Je n’ose plus me regarder. Les os finiront bien par me percer la peau.

Je n’ai jamais vraiment apprécié les livres de Voltaire. Trop compliqués pour moi, sans doute. Mais je regrette de ne pas avoir pu lire ses « Lettre philosophiques » avant qu’elles ne soient brûlées après l’arrêt du Parlement. Je n’ai jamais compris cette habitude de condamner à la destruction des écrits considérés comme dangereux. D’autant moins qu’ils avaient passé l’étape de l’autorisation d’éditer.

J’ai peur que ce qui a été un des plaisirs de ma vie soit définitivement enfui. Cette fuite est inquiétante. Elle s’inscrit dans un détachement général. Même mes enfants s’estompent dans un désintérêt grisâtre. Je flotte dans un long ennui. Je me sens enfermée dans une vaste prison sous un ciel désormais à jamais bas et lourd.

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22 septembre 2019 7 22 /09 /septembre /2019 12:11

Le journal de Renée Largerie

Dimanche 25 octobre 1733

 

Je me remets péniblement devant mon secrétaire. D’écrire, même quelques lignes, me coûte de plus en plus. Je voudrais faire état d’une catastrophe qui a touché des pays pas très éloignés de notre Bas-Maine. La Loire, ce majestueux fleuve, apparemment si paisible, est sorti brutalement de son lit. Des territoires immenses ont été inondés. Les cultures ont été ravagées et, plus graves, de nombreuses personnes ont péri, noyées.

Beaucoup moins grave mais qui fait pas mal de bruit, les maîtresses de Louis XV. Cette pratique extra conjugale amuse et ne porte pas préjudice au Roi. Cette fois, par contre, le fait que quatre sœurs l’aient été, consécutivement j’espère, fait jaser et rire parfois. J’aurais plutôt tendance à être bienveillante après ma propre aventure. Même si, en ce qui me concerne, cela n’arriva qu’une fois.

Quand j’y pense, la nostalgie n’est pas loin. Cette femme qui cédait à son corps me paraît si loin. Depuis quelques mois, les douleurs m’envahissent. Des douleurs profondes. J’ai beaucoup maigri. L’image que me renvoie mon miroir sombre, mes yeux creux et mon teint cireux, j’y vois une horreur froide qui m’effraie.

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15 septembre 2019 7 15 /09 /septembre /2019 11:46

Fictions…

Le journal de Renée Largerie

 

Dimanche 25 novembre 1731

 

Un grand scandale a secoué le royaume en octobre. Un jésuite est accusé de sorcellerie, de relations sexuelles et d’inceste spirituel par sa pénitente. On se divise pour ou contre le prêtre. Personne, mis à part l’homme et la femme, ne détient la vérité dans cette affaire. Et c’est justement dans l’ignorance que les convictions se font catégoriques.

Je ne connaissais pas la notion d’inceste spirituel. Je suppose que le jésuite était le confesseur de la jeune femme. Je ne sais pas s’il était adepte de la sorcellerie. Ce que je sais, par contre, c’est que les prêtres peuvent être, comme tout homme, tourmentés par la chair. J’ai moi-même eu à remettre en place un vicaire de Gorron que je ne nommerai pas. On pourrait donc se dire que la jeune femme aurait dû savoir fixer des limites. On oublierait alors l’emprise que peut avoir un confesseur sur les fidèles.

Finalement, le jésuite a été blanchi. Mais le doute existera toujours. Et je plains la jeune femme. Sa réputation est définitivement entachée. Menteuse ou trop faible, sa situation n’est guère enviable. Pauvre martyre, elle aura beau tenter de fuir le monde railleur, elle aura du mal à dormir en paix.

 

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7 septembre 2019 6 07 /09 /septembre /2019 09:33

Le journal de Renée Largerie

Mercredi 12 avril 1730

 

Je n’ai pas écrit un mot dans mon journal au cours de l’année 1739. Ce qui n’est pas très bon signe en ce qui concerne mon humeur. Des idées noires m’ont torturée, sans véritable raison. Il est des mélancolies gaies quand on revient sur un passé heureux. Mais il en est aussi qui pèsent sur l’humeur comme de lourds ennuis. Les jours alors se traînent, plus noirs que les nuits.

Bizarrement, c’est une catastrophe pour mon mari qui me fait sortir de ce cachot humide dans lequel depuis des mois je me morfonds. Depuis quelque temps déjà,  il a investi inconsidérément dans la Compagnie des Indes. La remise en ordre après le limogeage du contrôleur général et les fortes économies ont fait fondre notre modeste fortune.

Gaspard peine à sortir d’un désespoir qui me surprend. Et comme pour les plateaux d’une balance, sa plongée dans le noir éclaircit un peu mon horizon. L’argent pour moi n’a guère d’importance, sans doute parce que je ne suis pas chargée d’en gagner. Mais la santé de mon mari ne me laisse pas indifférente.

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1 septembre 2019 7 01 /09 /septembre /2019 09:36

Le journal de Renée Largerie

Mardi 31 août 1728

 

L’année 1728 a vu mon humeur se dégrader sérieusement. La mort était là, présente et chaque décès, chaque enterrement, me rappelait l’échéance. La femme du pharmacien, qui avait à peu près mon âge, a été emportée par un mal inconnu en quelques semaines. La veille de sa mort, j’étais allée la visiter. Elle paraissait très lucide, parlait de sa grande fatigue et des examens pénibles qu’elle subissait. Son mari avait fait appel aux meilleurs médecins de la région. Mais à aucun moment je n’ai pu imaginer qu’elle n’avait plus qu’une journée à vivre.

Elle m’avait prise comme confidente. Je connaissais tout de ses maux. Et, à chaque fois qu’elle me décrivait ses douleurs, j’en ressentais de pareilles, tout du moins je le croyais, quelques jours après. J’en fis part à mon propre mari qui haussa les épaules. Je crois bien qu’à l’époque il mettait tout cela sur le compte d’une humeur qui se dégradait.

Puis vint un été exceptionnel. Il fit très chaud, pendant des semaines. Les Gorronnais cherchaient de la fraîcheur le long de la Colmont. Certains même se baignaient. Petit à petit, les tenues des baigneurs se firent plus légères. Des audacieux enlevèrent même tous leurs vêtements. Le curé tonna en chaire contre cette pratique impudique. Je ne m’y risquai pas. Mais je dois dire que je prenais quelques plaisir à surprendre des corps juvéniles sortant mouillés de l’eau. De garçons ou de filles, ces ventres ruisselants où frémit l’éternelle chaleur éloignaient de moi la mort…

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 09:30

Le journal de Renée Largerie

Maison de François Pâris

Vendredi 5 décembre 1727

 

En cette année 1727, les jansénistes ont encore beaucoup fait parler d’eux. Le diacre François Pâris, qui vient de mourir, a pour eux l’image d’un saint. Sur sa tombe, au cimetière de Saint-Médard, les jansénistes viennent fréquemment se recueillir. Et, très vite, le lieu devient très fréquenté. On parle de miracles. On assiste à des scènes d’extase collective et des illuminés sont en proie à des convulsions. On a fini par fermer le cimetière, l’émotion populaire devenait trop forte.

A Gorron nous avons aussi eu nos miracles. Il n’était pas question d’un diacre à demi saint. Mais plutôt d’un guérisseur, jeteur de sort. On se demande encore comment son corps fut transporté de la fosse commune à l’angle du cimetière. Très vite, un portique métallique fut fixé sur la tombe. Et l’on trouvait régulièrement des vêtements d’enfants accrochés à la barre transversale.

Notre curé condamna en chaire les superstitions, décrocha, chaque matin, les pauvres petits vêtements. Rien n’y fit.  Il finit par céder devant le désespoir des mères  qui cherchent à tout prix à déchirer le ciel bourbeux et noir et les ténèbres sans astres et sans éclairs qui annoncent la mort de leur petit.

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18 août 2019 7 18 /08 /août /2019 09:35

Le journal de Renée Largerie

Mercredi 6  novembre 1726

 

Je me refuse à céder à la mélancolie. Je sens pourtant, par moments, que même mon petit Gaspard s’éloigne de moi, comme tout ce qui me tenait vivante jusque-là. Mon seul refuge est le souvenir de cette aventure insensée, dernières braises désormais à jamais éteintes. La mémoire est une belle chose. A condition d’y préserver quelque envie. S’y complaire sans autre perspective, comme si le futur n’avait plus d’intérêt, conduit droit à la tombe.

Je me demande d’ailleurs si ma nouvelle occupation n’entretient pas cette lente dérive. En plus des registres paroissiaux, le curé m’a demandé d’assister les mourants. Je me rends donc régulièrement aux domiciles de ceux qui ne vont pas tarder à quitter notre terre. Ma tâche est de les soutenir dans cette ultime épreuve. Mais au-delà de cette aide, de l’empathie qui m’anime, je me demande si je ne prépare pas moi-même ma propre mort.

La mort fait partie de la vie, dit-on. Mais, comme elle, elle reste singulière. Entre ceux qui acceptent et ceux qui se rebellent, je croise un vaste éventail de comportements. Serai-je aussi lucide que cette femme paraissant si fragile qui, aux portes de la mort, échangeait avec moi sur l’avenir de sa petite-fille ? Pourrai-je comme ce vieillard refuser d’implorer la moindre larme du monde, invitant les corbeaux à venir picorer sa carcasse immonde.

 

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11 août 2019 7 11 /08 /août /2019 09:34

Le journal de Renée Largerie

Samedi 22 décembre 1725

 

La pluie a commencé à tomber dès la mi-juin. Au départ, personne ne s’est inquiété. Les Gorronnais s’amusaient même du courant tumultueux qui recouvrait les blocs de granit de la Colmont après la passerelle de la Pierre-Pichard. Puis les inondations arrivèrent. On ne s’amusait plus. Les maisons, au niveau de la rivière, étaient régulièrement inondées. Ensuite, ce furent les récoltes qui pourrirent sur pied. Il y eut des messes, des prières et même des processions. La Vierge de la chapelle Saint-Jacques fit plusieurs fois le parcours du Bignon à l’église, suivie par les fidèles trempés par la pluie.

Du côté du ciel, on ne voyait rien venir. Fallait-il que les hommes fussent si mauvais pour que la volonté divine les accable d’une telle façon ? J’avais ma petite idée là-dessus mais jamais je n’aurais osé en parler autour de moi. Les premières émeutes contre la hausse du prix du blé s’étendirent rapidement sur tout le nord de la France. Notre province fut rudement touchée. Dans la paroisse de Gorron, des moulins et des boutiques de boulangers furent pris d’assaut. La répression était sévère mais rien ne pouvait dissuader les émeutiers tenaillés par la faim.

Notre famille n’avait rien à craindre. Mais j’imaginais mon petit Gaspard dépérissant par manque de nourriture. Je comprenais les pauvres gens qui voyaient leurs enfants taraudés par la faim. Et je sentais mon cœur et mon cerveau enveloppés d’un linceul vaporeux au parfum de tombeau.

 

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