Le journal de Renée Largerie
Mardi 31 août 1728
L’année 1728 a vu mon humeur se dégrader sérieusement. La mort était là, présente et chaque décès, chaque enterrement, me rappelait l’échéance. La femme du pharmacien, qui avait à peu près mon âge, a été emportée par un mal inconnu en quelques semaines. La veille de sa mort, j’étais allée la visiter. Elle paraissait très lucide, parlait de sa grande fatigue et des examens pénibles qu’elle subissait. Son mari avait fait appel aux meilleurs médecins de la région. Mais à aucun moment je n’ai pu imaginer qu’elle n’avait plus qu’une journée à vivre.
Elle m’avait prise comme confidente. Je connaissais tout de ses maux. Et, à chaque fois qu’elle me décrivait ses douleurs, j’en ressentais de pareilles, tout du moins je le croyais, quelques jours après. J’en fis part à mon propre mari qui haussa les épaules. Je crois bien qu’à l’époque il mettait tout cela sur le compte d’une humeur qui se dégradait.
Puis vint un été exceptionnel. Il fit très chaud, pendant des semaines. Les Gorronnais cherchaient de la fraîcheur le long de la Colmont. Certains même se baignaient. Petit à petit, les tenues des baigneurs se firent plus légères. Des audacieux enlevèrent même tous leurs vêtements. Le curé tonna en chaire contre cette pratique impudique. Je ne m’y risquai pas. Mais je dois dire que je prenais quelques plaisir à surprendre des corps juvéniles sortant mouillés de l’eau. De garçons ou de filles, ces ventres ruisselants où frémit l’éternelle chaleur éloignaient de moi la mort…