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2 juin 2019 7 02 /06 /juin /2019 11:38

Le journal de Renée Largerie

Dimanche 19 avril 1716

 

Un bal a été donné dans les halles de Gorron à l’initiative de notre baron du Bailleul de Hercé. Il paraît que le frère de notre Seigneur a eu la chance de participer à celui organisé au Palais Royal à Paris en janvier. Premier bal masqué, public et payant.  Dans notre paroisse il n’était pas question de payer. Pour les masques, très peu s’y sont essayés. Il n’empêche que l’événement a fait grand bruit et que notre curé a eu bien du mal à aller contre.

Avec Gaspard, nous nous y sommes rendus. Au début, tout le monde paraissait emprunté. Puis, l’heure avançant, certains se sont laissé un peu aller. Si le curé avait été présent il en aurait eu une attaque. Quelques couples, pour montrer qu’ils connaissaient le mœurs de la haute société, en ont rajouté, accentuant le caractère parfois licencieux des mouvements et des pas des danses.

Quant à moi, j’ai été plutôt agréablement surprise. J’avais appris quelques pas et ne refusais pas les invitations. Je n’imaginais pas pouvoir encore séduire, et pourtant certains m’accordèrent quelques galanteries. Malheureusement, le bal prit fin de façon inattendue. Une nièce du baron,  enfiévrée par l’ambiance, se donna en spectacle. Et sa chair trop joyeuse, les retentissantes couleurs de sa robe emballée, choquèrent le baron qui mit fin à la fête.

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25 mai 2019 6 25 /05 /mai /2019 16:54

Le journal de Renée Largerie

 

Dimanche 03 novembre 1715

 

Le Roi Louis XIV est mort dans de grandes souffrances. On raconte que, malgré une longue agonie, il a fait preuve d’une piété exemplaire, remettant à Dieu une âme admirable. J’ai appris, par mon père, qu’une gangrène effroyable avait dégradé son corps d’une manière immonde. Peut-on, dans ces conditions, avoir une mort exemplaire ?  Je n’en suis pas sûre mais il faut bien nous aider, pauvres misérables, à accepter notre triste sort inévitable.

Peu avant sa mort, le roi avait renouvelé le bail de sa ferme. Mon mari était inquiet. Il lui paraissait nécessaire de réorganiser la perception de l’impôt jugée bien souvent injuste tant les responsables pouvaient être uniquement intéressés par leur propre gain. Il semble que le Régent, ce Duc d’Orléans qui voudrait bien gouverner seul, a l’intention de réorganiser la ferme. J’espère que cela ne changera pas trop de choses dans la fonction de mon mari.

Hier soir, mes prières ont été particulières, entièrement occupées par la mort. Je voyais mon corps en proie aux vers, ces animaux voraces sans oreilles et sans yeux. J’espérais alors que, mon âme envolée, aucune douleur n’aurait sa place sous l’herbe de la pelouse de notre petit cimetière.

 

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12 mai 2019 7 12 /05 /mai /2019 11:48

Le journal de Renée Largerie

 

Mercredi 17 mai 1713

 

Il nous est parvenu les exploits de nos corsaires qui ravagent et pillent au nom du Roi de France. Je me souviens d’un tableau accroché au-dessus du bureau de mon père au logis de la Renardière. On y voyait un fier vaisseau crachant le feu de ses nombreux canons sur un navire anglais en perdition. Le spectacle paraissait magnifique avec ces hautes voiles déchirées et la mer démontée dans la couleur rouge sang du crépuscule.

Mais derrière ces beautés et cette gloire, je pouvais imaginer l’horreur de la bataille. Les hommes mutilés, les blessés tombés en mer et la haine des combattants. Mon père avait servi un temps dans la marine comme chirurgien. Il ne nous épargnait rien des blessures horribles, des amputations à vif…

Je viens d’apprendre que la paix avec l’Angleterre devait être signée. Cette fin de règne pour notre vieux roi est décidément bien sombre après la splendeur du temps passé à Versailles. Je l’imagine sentant sa mort prochaine, penser au dernier jugement. Il aura à répondre de ses actes dont il ne doit pas être toujours très fier.

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5 mai 2019 7 05 /05 /mai /2019 09:48

Le journal de Renée Largerie

 

Samedi 02 avril 1712

 

Nous venons d’apprendre que la famille royale a été décimée par la variole.  Le seul descendant héritier du trône, arrière-petit-fils du grand roi Louis XIV, n’a que 2 ans. Quel âge aura-t-il quand son règne arrivera ? Qui dirigera alors le royaume pendant l’immaturité du futur roi ? Ces incertitudes inquiètent tout le monde.

Mais l’inquiétude concernant une épidémie générale touchant le pays est pour l’instant la plus forte. J’ai vu les ravages de la variole quand j’habitais encore avec mes parents à la Renardière. Malgré tous les efforts des chirurgiens, rien ne permettait d’enrayer la diffusion de la maladie. Elle s’arrêtait toute seule, on ne savait vraiment pourquoi.

Cela commençait par une forte fièvre, des douleurs, des nausées, des vomissements. On scrutait avec effroi le visage des malades, espérant que l’éruption massive des pustules ne confirmerait pas les craintes des proches. Et quand il n’y avait plus de doute, il ne restait qu’à prier, espérant que la faucheuse maléfique épargnerait le malade quand il était trop jeune pour partir.

 

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28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 11:21

Le journal de Renée Largerie

 

Jeudi 24 décembre 1711

 

Je viens d’apprendre que le cimetière de l’abbaye de Port Royal des Champs a été bouleversé dans le cadre de la destruction de l’abbaye. Les cadavres ont été transportés en tas dans des charrettes et l’on voyait, paraît-il, de vieux os blanchis rouler sur le chemin et des chiens avides qui se battaient pour les ronger. En cette veille de Noël, je me demande comment Dieu peut tolérer de telles abominations.

On me dira que c’est la liberté de l’Homme qui est responsable de ces choses abominables. Mais que dire du tremblement de terre dans le grand ouest de la France qui a détruit pas mal de maisons et de granges dans la campagne. Où est la responsabilité de l’Homme dans ce genre de cataclysmes ?

Pour moi, par contre, Je suis toujours tranquille du côté de mon corps. Son repos a un effet inattendu. La peau s’est retendue. Je ne reconnais plus mon ventre. Et moi qui me voyais me réduire comme ces petites vieilles dont le corps dans le cercueil occupe la place de celle d’un enfant, je m’engage, surprise, dans un renouveau surprenant.

 

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21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 09:37

Le journal de Renée Largerie

 

Dimanche 29 mars 1711

 

Je suis habituée, depuis mon premier mariage, de me retrouver enceinte dans l’année suivant la naissance de mon dernier enfant. Toute grossesse n’a pas abouti à la naissance d’un bébé viable. J’ai connu aussi de nombreuses fausses-couches. Mais, cette fois, aucune conception n’a eu lieu bien que physiologiquement je sois toujours apte à concevoir et que mon mari continue à manifester du désir pour moi. Je dois dire que cette situation me convient plutôt bien.

Mon corps me laissant en paix, je me tourne résolument vers l’esprit. Un libraire de Laval, ancien condisciple de mon mari, me fait part de toutes les nouveautés bruissant dans la vie de la capitale. Je viens d’apprendre qu’on a découvert un très ancien monument en creusant les fondations d’un autel de Notre Dame de Paris. Ce pilier sculpté, nommé le pilier des Nautes qui date de l’empereur Tibère, devient le plus ancien monument de Paris.

Conserver les traces de ceux qui nous ont précédés me paraît nécessaire. Notre passage sur terre, aussi court et modeste soit-il, s’inscrit dans la mémoire de l’humanité. Un tout petit maillon d’une chaîne monumentale. A mon petit niveau, je tente de reconstituer sous forme de dessin, le tracé des fortifications de notre ville qui ont disparu par endroit depuis des siècles déjà.

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14 avril 2019 7 14 /04 /avril /2019 10:22

Le journal de Renée Largerie

 

Jeudi 30 janvier 1710

 

Mon mari, Gaspard, m’a informé, ce matin , que le Conseil d’Etat avait décidé la fermeture de l’abbaye de Notre Dame des Champs. Racine, mort déjà depuis 11 ans, a toujours été pour moi un auteur important. J’ai lu la plupart de ses pièces et me suis intéressée à sa vie. Notamment aux liens qu’il avait tissés avec les religieuses de Port Royal.

Si je n’avais eu la vie que je connais actuellement, avec mes nombreux enfants, ceux qui vivent encore et ceux qui ont rejoint Dieu, j’aurais aimé me retirer dans un abbaye comme celle de Port Royal. Et notamment celle de Port Royal des Champs. Le calme, la sérénité, le retrait du monde continuent à me séduire. Peut-être que ma vieillesse me réserve une fin de vie qui se rapprochera de cette retraite.

Je me vois, dans une cellule minuscule, alors que l’obscurité envahit la campagne, me remémorer ma vie, ses moments dramatiques et ses joies lumineuses, sans regret, sans impatience. Il me faudrait cependant pour atteindre cet état me réconcilier avec Dieu à qui j’ai encore de sérieux reproches à adresser.

 

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5 avril 2019 5 05 /04 /avril /2019 10:29

Le journal de Renée Largerie

Samedi 02 févier 1709

 

Mon retour à Gorron, la bonne santé de notre dernière fille Marie Anne, tout était réuni pour que notre vie fut douce. Gaspard s’était élevé dans la hiérarchie des fermes du Roi. Sans être à la tête d’un grande fortune, sans fréquenter les familles nobles de la paroisse, notre statut de bourgeois aisés se renforçait. Nous appréhendions l’avenir sans crainte. Et pourtant tout se dégrada rapidement.

Jusqu’à présent, notre maison m’avait paru confortable. Mais, dès janvier, je constatai que le chauffage était insuffisant. Nous avions condamné certaines pièces et nous réfugions dans celle où les cheminées, par leur taille et leur tirage, permettaient de maintenir une température supportable. Nous avions déjà connu, dans le passé, des froids rigoureux. Mais cette fois, une vague de glace figea toute la campagne.

Les arbres éclataient, la rivière et l’étang étaient entièrement gelés. Les grains commençaient à manquer. Des émeutes se déclenchèrent fin janvier. On commençait à s’en prendre à notre Roi lui-même.  Et les employés des fermes subissaient les récriminations des indigents qui parcouraient la paroisse pratiquant la mendicité avec parfois quelque agressivité.

Ce matin, un grande femme rousse, dont la robe trouée laissait par endroits voir son corps amaigri, vint frapper chez nous, traînant à ses côtés deux enfants faméliques. Je lui donnai un peu de pain, ne pouvant faire plus.

 

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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 09:27

Le Journal de Renée Largerie

 

Samedi 05 mai 1708

 

Il n’y a guère de sens à comparer des douleurs. Notre petit Joseph est mort. On ne s’habitue jamais à la disparition d’un de ses enfants, même si j’ai connu plusieurs fois ce genre d’épreuves. Mais le désespoir de Gaspard m’a bouleversée. Son premier enfant, son fils… Je tentais de le faire sortir de sa douleur en lui parlant de la nouvelle vie que j’avais dans mon ventre. J’essayais même de lui faire sentir les mouvements de l’embryon. Rien n’y faisait.

Sa maison, ses souvenirs, sa vieille domestique même, n’avaient plus aucune prise sur lui. Quand il me dit qu’il voulait quitter Ernée, je tentai de l’en dissuader même si un retour à Gorron ne pouvait que me réjouir. Il n’en parla plus pendant quelques semaines et hier il m’annoncé qu’il avait trouvé une maison, Grande Rue à Gorron. Je dissimulai ma joie qui aurait pu choquer alors que le corps de notre fils reposait dans le cimetière d’Ernée.

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17 mars 2019 7 17 /03 /mars /2019 11:38

Le journal de Renée Largerie

 

Dimanche 1er janvier 1708

 

On ne m’ôtera pas de l’idée que le lait de la nourrice n’était pas sain. Cette grosse paysanne, plus toute jeune, pas très propre, ne m’inspirait guère confiance. Mais Gaspard s’en portait garant. Il prétendait même que mes réticences étaient dues à ma propre défaillance maternelle. Je pus en sourire jusqu’aux premiers signes de la maladie de Joseph.

Les deux premiers mois s’étaient plutôt bien passés. Quand je regardais le nourrisson joufflu dans les bras de sa nourrice, j’en étais même un peu jalouse. Puis ses belles joues roses et rebondies ont fondu. Sa peau devenait jaunâtre. De violentes diarrhées se déclenchaient sans raison apparente. Le chirurgien appelé tentait de nous rassurer. Le médecin qui lui succéda me parut plus inquiet.

Je tombai enceinte dès décembre. J’en fus surprise. C’est le médecin qui m’expliqua que l’allaitement pouvait retarder une nouvelle conception. Mes seins arides, inhabituels chez moi, me laissèrent donc ouverte à l’arrivée d’un nouvel enfant. La surprise, l’inquiétude suscitée par la santé de Joseph, me plongèrent dans un début de grossesse inhabituel. Je ne sentais pas cette plénitude qui m’enchantait autrefois. 

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