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5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 10:47

Le journal de Renée Boullard

 

Jeudi 26 décembre 1748

Malgré l’optimisme de mon professeur de musique, mes progrès sont plutôt minces. Je m’accroche cependant et si mes productions sont bien modestes, ma culture musicale s’étoffe. Jean-Philippe Rameau est au sommet de son génie créatif. Plusieurs créations sont données cette année. Malheureusement, si des musiciens locaux peuvent donner quelques pièces sous les halles, je regrette de ne pouvoir assister aux actes de ballet qui doivent être magnifiques.

Un écrivain fait aussi beaucoup parler de lui. L’accès des écrits est plus facile pour les provinciaux que nous sommes. Son dernier ouvrage « De l’esprit des lois » de monsieur de Montesquieu n’est pas encore arrivé dans le Bas-Maine mais beaucoup de lettrés en parlent. La séparation de pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire semble une idée révolutionnaire. Tout cela me dépasse un peu, mais tout ce qui peut humaniser notre société me convient.

Les galères, cette horreur qui envoyait à la mort de pauvres bougres pour, parfois, la moindre faute, sont supprimées. Cela aussi me semble aller dans le bon sens. Quand je pensais à ces hommes, enfermés comme dans un caveau,  aux corps usés et aux yeux enfiévrés, je tremblais, effrayée.

 

 

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29 décembre 2019 7 29 /12 /décembre /2019 11:55

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 12 novembre 1747

 

Les années se suivent et souvent se ressemblent. La France est toujours en guerre. On finit par y être habitué. Personnellement, je ne m’intéresse pas à ces multiples batailles dans la mesure où aucun de mes proches n’y participe. Je suis beaucoup plus préoccupée par le prix du grain qui augmente considérablement en cette fin d’année. Des récoltes médiocres signifient bien souvent une mortalité en hausse qui, cette fois, nous concerne tous.

Il paraît que le Royaume va enfin s’occuper de notre réseau routier. On a fondé une école des Ponts et Chaussées qui formera des ingénieurs chargés de rendre un peu plus cohérent ce réseau qui ne cesse de se dégrader. Malheureusement, Gorron n’est pas près d’être concerné. Notre petite ville, en période de pluie, de gel, est pratiquement isolée tant la boue, les fondrières rendent les déplacements difficiles.

Certains aiment ces saisons d’automne et d’hiver noyées de boue. Pour moi, elles engendrent le plus souvent une tristesse qui n’a rien de doux. Même si, parfois, mon cœur, enveloppé d’un linceul vaporeux, étrangement, éprouve un plaisir que mon cerveau, surpris, rejette.

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15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 11:53

Le journal de Renée Boullard

Samedi 25 décembre 1745

 

L’année a été mauvaise pour les Protestants : condamnations aux galères, assassinats de pasteurs, emprisonnements… On se croirait revenus au temps des Guerres de religion. A Gorron, il y a toujours eu de petites assemblées de Calvinistes. Ils sont en général très discrets et on les laisse tranquille. Il n’empêche que ces nouvelles commencent à leur faire très peur.

Mon mari s’est associé à un marchand de faïence gorronnais. De magnifiques objets, de moins en moins chers, commencent à circuler dans notre pays. Je soupçonne ce marchand, austère et discret, d’avoir quelques sympathies pour les Protestants. Gaspard ne veut pas en entendre parler. Seuls, pour lui, comptent les bénéfices qu’il peut en tirer.

Depuis ce nouveau commerce, on voit, dans notre intérieur, des objets magnifiques, comme ce broc et son bassin dont les motifs floraux, rehaussés de guirlandes dorées, me fascinent. Je tente parfois de les reproduire sur de petits tableaux qui, chaque fois, me paraissent hideux. Je retourne alors au modèle et l’admire quand le foyer seul illumine ma chambre.

 

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8 décembre 2019 7 08 /12 /décembre /2019 12:19

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 20 décembre 1744

 

Nous venons d’apprendre la mort de la duchesse de Chateauroux. Après avoir été humiliée, reniée par le roi son amant, elle meurt brutalement alors qu’elle était revenue en grâce. On parle de poison. C’est le genre de fait qui semble passionner le peuple, alors que bien d’autres drames secouent notre pauvre royaume.

Nous sommes en pleine guerre. Notre flotte, un moment tentée par la conquête de l’Angleterre, a subi de gros revers. Une grave révolte des ouvriers du textile de Lyon a fait reculer les innovations de Jacques de Vaucanson mécanisant les métiers à tisser.

Nous ne sommes pas directement affectés, à Gorron, par ces événements. A ma connaissance, il n’y a pas de marin gorronnais sur les vaisseaux du Roi. Le travail de la toile se fait encore dans les caves humides de nos tisserands sur des métiers antiques. Quant aux histoires d’adultères, auxquelles nous ne sommes pas étrangers, elles se règlent, le plus souvent, dans l’obscurité des confessionnaux.

                Je me méfie de ces prêtres cauteleux qui reçoivent des confidences jugées par eux horribles mais dont ils peuvent se délecter dans l’ombre propice des lieux de confession.

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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 11:51

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 3 novembre 1743

 

En mars de cette année, une épidémie nouvelle a frappé Paris. Mon frère nous a décrit cette maladie et depuis je ne cesse de trembler pour ma fille. Les premiers symptômes ressemblent à un simple rhume, si fréquent dans notre région où la pluie et les brouillards se succèdent. Quand ils se manifestent, on ne peut imaginer que l’issue de cette grippe, puisqu’on l’appelle ainsi, puisse être mortelle, notamment pour les bébés et les vieillards. Heureusement, elle n’a pas atteint le Bas-Maine.

Cette angoisse m’a montré que cette petite Jeanne occupait une place très importante dans ma vie actuelle. Gaspard, mon mari, me mettait en garde. Il ne fallait pas s’attacher aux enfants tant qu’ils n’ont pas atteint un âge raisonnable. J’essaie de m’en convaincre mais je n’y arrive pas. Pour conjurer la peur, je me suis mise à peindre des bébés. Je ne faisais plus que cela, au désespoir de mon professeur qui aurait voulu une production plus large. Paraît-il que j’aie quelque talent.

Je ne suis pas assez habile pour montrer les émotions de mon bébé sur son visage. J’essaie alors, plus par la couleur que par le trait, de projeter sur la toile ce qui m’étreint quand je peints. Et ce sont les yeux qui concentrent ces pauvres tentatives. Quand ils s’ouvrent, hésitants, et se posent sur moi, j’aimerais pourvoir rendre ces clartés que je voudrais éternelles.

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24 novembre 2019 7 24 /11 /novembre /2019 11:19

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 25 novembre 1742

 

Après plusieurs essais infructueux, en début d’année, je me suis retrouvée enceinte. La grossesse et l’accouchement n’ont pas posé de problème. Décidément, si j’ai quelques difficultés à être engrossée, mon corps accueille ensuite facilement la vie au sein de mes entrailles. J’ai appelé ma seconde petite fille Jeanne. Comme Jeanne de France qui a été béatisée par notre pape Benoît XIV. Il y a déjà quelque temps, je me suis intéressée à cette brève reine de France, mariée à 12 ans, dont son mari, Louis XII, a obtenu l’annulation du mariage pour non-consommation.

Contrairement à elle, ma fille est physiquement parfaite. Et j’aimerai qu’elle puisse ressembler à la future sainte qui fonda l’ordre de l’Annonciation au niveau de la volonté et du caractère. C’est mon frère qui m’a déniché un ouvrage sur celle qui porta le titre de duchesse du Berry. J’ai lu et relu sa vie contée par son confesseur. Nulle ne peut prétendre se hisser à sa hauteur mais sa vie illustre peut servir d’exemple comme un but à approcher bien qu’inatteignable.

Jeanne est née fin septembre. L’automne a été plutôt doux. Avec un peu de chance nous n’allons pas connaître un hiver aussi dur qu’en 1739. Je prie chaque jour pour que sa vie soit plus longue que celle de sa sœur. Et dans cette prière je me sens sereine comme devant le ciel triste et beau d’un crépuscule d’automne.

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17 novembre 2019 7 17 /11 /novembre /2019 11:44

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 15 octobre 1741

 

En juillet, notre roi Louis XV a décidé d’engager des opérations militaires contre l’Autriche. Je suis bien incapable de juger de cette décision. Je constate simplement que les hommes trouvent, le plus souvent, que guerroyer est normal et que la violence fait partie de la nature humaine. Mon mari lui-même a semblé se réjouir de cette nouvelle.

Mais, quand le dixième, impôt sur toutes les propriétés foncières, a été rétabli pour payer la guerre, son enthousiaste a beaucoup faibli. Il lui avait fallu tant d’énergie et de courage pour remonter son commerce. Il recommençait à mettre de l’argent de côté et l’augmentation des impôts lui parut très injuste.

Aucun de mes proches n’étant engagé dans le conflit, un peu égoïstement, je me suis plus intéressée à la peinture et à la musique qu’à l’avancée de nos armées en Bohème. Pour l’instant, sur les conseils de mon professeur, j’essaie de copier quelques œuvres dont il avait les reproductions. J’ai longtemps peiné sur un cavalier et son cheval. L’homme épuisant la bête sans éperon, sans fouet, la bave des naseaux, les sabots hasardeux, tout cela m’a donné beaucoup de peine.

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3 novembre 2019 7 03 /11 /novembre /2019 10:30

Le journal de Renée Boullard

Mardi 1er décembre 1739

 

J’ai constaté, dans le journal de ma mère, que ses écrits s’espaçaient au fil des pages. Je commence à comprendre pourquoi. Se mettre à écrire n’est pas si évident même quand l’envie est là. Je crois que je me contenterai, le plus souvent, d’une page par année, sauf événement exceptionnel. 

Cette année 1739 a plutôt été horrible pour moi. J’étais enceinte et j’attendais avec impatience, mais aussi un peu de crainte, la naissance de mon premier enfant. En début d’année, une tempête énorme, venue d’Ecosse, a ravagé le nord de notre pays. Notre hangar, servant d’entrepôt à mon mari, a vu son toit s’envoler. Les pluies qui ont accompagné la tempête ont ruiné toutes les marchandises entreposées.

Tout était rentré dans l’ordre lorsque j’ai accouché sans trop de douleurs. Quand je dis sans trop, c’est parce que tout s’est bien passé. Il n’empêche que le sort des pauvres femmes n’est guère enviable. S’il n’y avait la joie d’accueillir un enfant je crois que beaucoup d’entre-elle maudiraient cette punition divine.

Si l’année commença par un tempête, elle se termina par un froid terrible. Tout était figé par la glace, le givre. On endurait ce froid car il devait éloigner les maladies. Et pourtant, une épidémie décima les enfants de la paroisse. Ma petite fille fut emportée comme beaucoup d’autres bébés. La douleur des autres n’a pas atténué la mienne.

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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 10:03

Le journal de Renée Boullard

Mercredi 15 octobre 1738

 

Il y a failli avoir une émeute à Gorron au cours du marché ce dernier mercredi. Armés de leurs redoutables bâton de meslier, un groupe de paysans a envahi les halles. La colère gronde car on veut les obliger à entretenir les routes. Une réorganisation de la corvée royale qui ne pouvait que mécontenter la population. Le sergent et les archets du baillage ont eu beaucoup de mal à ramener l’ordre.

Les paysans corvéables criaient qu’ils n’étaient pas des esclaves. Esclaves que certains colons se plaisent à amener en France et à exposer comme autant d’animaux exotiques. Je comprends qu’on ait besoin de ces malheureux travailleurs sur les grandes exploitations du bout du monde mais en faire un spectacle me dérange un peu.

J’ai contacté, dernièrement, un couple qui donne des cours de musique et de peinture. C’était la première fois que je m’asseyais devant un clavecin. Le professeur de musique a joué une entrée d’un ballet de Rameau, spectacle auquel avait assisté ma pauvre mère peu avant sa mort. Jamais je ne pourrai accéder à cette virtuosité mais l’homme m’a assuré que je pourrai rapidement jouer quelques petits morceaux exquis, selon lui…

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20 octobre 2019 7 20 /10 /octobre /2019 11:47

Le journal de Renée Boullard

Dimanche 15 septembre 1737

 

Je vais tenter de rester fidèle à l’écriture de ma mère. J’ai noté que, le plus souvent, elle mêlait des réflexions sur sa vie personnelle, parfois intimes, à des événements locaux ou nationaux. Il me semble aussi qu’elle s’essayait un peu à la poésie.

Je vais d’abord revenir sur mon mariage. C’est Jean-Jacques Gallesne, curé de Gorron, qui nous a mariés en présence de la mère de mon mari, Marguerite Vanier (son père, Jean Berrier, étant décédé) et de mes parents. Beaucoup de personnes assistaient à la cérémonie, la famille Berrier étant très connue à Gorron. Je dirais que ce mariage fut plutôt heureux. Je n’ai pas connu les assauts dont parle ma mère lors de son premier mariage. Je ne sais pas si l’on peut parler d’amour entre Jean  et moi mais nous nous entendons bien, à tous les niveaux.

Mon frère n’arrête pas de me parler de la vie parisienne. Il évoque avec enthousiasme Melle Dumesnil qui va entrer à la Comédie Française, une école de dessin qui doit s’ouvrir à la manufactures des Gobelins… L’activité artistique gorronnaise fait bien piètre figure comparée à ce bouillonnement. Il n’empêche que je compte bien me lancer dans la musique et peut-être la peinture. Modestement mais régulièrement.

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Vous trouverez dans ce blog trois thèmes liés à l'histoire de la ville de Gorron. Les différents articles seront renouvelés régulièrement. Ceux qui auront été retirés sont disponibles par courriel à l'adresse suivante : jouvinjc@wanadoo.fr

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