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10 mars 2019 7 10 /03 /mars /2019 11:40

Le journal de Renée Largerie

 

Samedi 1er octobre 1707

 

J’ai voulu prénommer Joseph mon premier enfant avec Gaspard. Sa naissance n’a pas posé de problème. Ce corps distendu qui me peine parfois s’est habitué à ce travail merveilleux malgré la douleur. La joie de mon mari m’a émue. Je comprenais cette émotion unique de prendre dans ses bras son premier enfant.

J’aurais voulu, comme d’habitude, allaiter mon petit. Mais mon lait était si pauvre et si rare que j’ai dû y renoncer. Serait-ce déjà la sanction de la vieillesse ? L’habitude voulait que le nourrisson fût placé chez une nourrice, le plus souvent en campagne. Je m’y opposai farouchement. Il n’était pas question pour moi de confier le petit à une personne étrangère.

Gaspard eut du mal à comprendre ce qu’il considérait comme une lubie. Il chercha cependant une femme acceptant, contre rémunération assez élevée je dois dire, de venir plusieurs fois par jour à la maison. J’exigeai d’être présente pendant la tétée. Etrangement, quand je voyais les petites lèvres presser goulument les tétons de la nourrice, je sentais des fourmillements étranges dans mes propres mamelons.

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3 mars 2019 7 03 /03 /mars /2019 10:10

Le journal de Renée Largerie

 

Samedi 13 août 1707

 

Ma grossesse s’est déroulée sans problème jusqu’à ce mois d’août particulièrement chaud. Tant que j’ai pu me promener avec mes enfants et notre vieille servante, jusqu’au dolmen de la Contrie, m’asseoir dans l’herbe à l’ombre près de l’eau, je n’en ai pas trop souffert. Mais désormais, à un mois de l’accouchement, mon ventre est tel que je ne peux sortir de la maison. La température intérieure, même les fenêtres ouvertes, est insupportable. Je passe mon temps allongée sur mon lit dans une tenue que je veux tout de même décente mais j’étouffe.

Avant cette canicule qui perturbe toutes les activités de la province, nous avons connu une crainte inhabituelle concernant le travail de mon mari. Engagé dans le prélèvement de l’impôt, les révoltes du Sud-Ouest de la France et leur répression brutale, ont agité tout le royaume. Dans notre province, on gronde bien par moments, mais cela en reste à de la mauvaise humeur. Il n’empêche que, parfois, Gaspard peut se faire insulter par des contribuables excédés.

Moi qui ai toujours craint la mauvaise saison, j’en appelle à l’automne, sa fraîcheur embuée. Je voudrais pouvoir m’allonger à la tombée du jour sur ma couche fraîche où pourrait s’endormir l’oppression angoissante, proche de l’étouffement, qui accompagne chacun de mes jours.

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 10:27

Ouest-Eclair

 

Année 1940

 

Au cours de cette année 1940, trois articles sont consacrés aux activités paroissiales concernant la jeunesse : le 02 octobre, le 28 octobre et le 02 décembre.

 

Ouverture d’un patronage « Cœurs Vaillants »

« Vous souffrez du désœuvrement de vos enfants les jours de congé ? Vous déplorez les dangers de la rue ? Alors envoyez-les au patronage. En plus de la sécurité, ils y trouveront de saines distractions toutes orientées vers une formation plus vaillante. Le patronage est ouvert à tous les enfants chaque jeudi à partir de 1h 30. Rassemblement près du presbytère. »

Le patronage paroissial est présent à Gorron depuis le début du 20e siècle. En 1936 – 1937, un mouvement national s’organise autour d’un journal « Cœurs Vaillants » puis « Âmes Vaillantes » avec pour but de former des « militants de l’action catholique ». A l’époque, garçons et filles sont séparés. Le jeudi après-midi (jour de vacance pour les écoles) les activités étaient organisées par les vicaires de la paroisse. Insignes, fanions, devise (A cœur vaillant rien d’impossible), bérets, foulards… le mouvement se rapproche de celui du scoutisme. Voir article du 03 novembre 2013 sur le blog.

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 10:26

Le journal de Renée Largerie

 

Samedi 01 janvier 1707

 

Dans la famille de Gaspard, on fête le premier de l’an. Avec Jean, mon premier mari, nous ne fêtions que Noël et encore bien modestement. J’ai connu, le 25 décembre 1706 et le 1er janvier 1707, deux soupers qui m’ont émerveillée. Notre vieille domestique avait décoré la salle à manger de nombreuses plantes et branchages. Malgré mon état, j’ai goûté avec plaisir aux nombreux plats. Je craignais un peu la digestion de la nuit et tout s’est bien passé.

Ma grossesse se poursuit sans problème. Gaspard est encore plus prévenant, ce qui ne me paraissait guère possible. Il se réjouit de l’arrivée prochaine de son premier enfant. Cela ne l’empêche pas de montrer aux miens une affection qui me paraît sincère. Ils ont eu droit de veiller, et c’est exceptionnel. Gaspard est très gentil mais il ne transige pas sur les règles à respecter dans le quotidien familial. La prière du soir, notamment, est devenu un rituel incontournable.

Les deux soirs, la belle nuit annoncée, réunis auprès du feu de la cheminée, entourée d’âmes aimées, j’ai éprouvé pleinement la douceur d’un foyer que je n’avais jamais connue. Ce matin, en ce début d’année, aucune crainte de l’avenir ne vient entacher une véritable félicité.

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 10:15

Le journal de Renée Largerie

 

Dimanche 05 novembre 1706

 

Moi qui pensais, après mes multiples deuils, que je n’avais plus droit aux plaisirs de la vie, je constatai avec surprise qu’une seconde jeunesse était possible. Et tout cela grâce à Gaspard. Il a su trouver les mots pour me redonner confiance. Toujours avec beaucoup de tact et de gentillesse, il me réconcilia avec mon corps. Je ne connaissais pas la nudité acceptée, il sut m’en convaincre, me persuadant que des formes épanouies n’avaient rien d’affaissé. Il n’eut pas besoin de beaucoup d’effort. Le plaisir inconnu jusque-là qu’il me donne et qu’il prend sans fard est autant de preuves de sa sincérité.

Et c’est avec joie que je constatai très vite le début de ma nouvelle grossesse. La cinquième. Décidément, je suis faite pour enfanter. Je pense à mes pauvres enfants décédés et prie pour ne plus connaître cette douleur difficile à décrire. Mais je me tourne vers l’avenir et compte bien profiter des années que ma nouvelle situation m’offre. Une seule chose vient parfois ternir mon humeur plutôt belle : l’absence de Jeanne. La domestique de Gaspard est gentille et efficace. Mais la jeunesse de celle que je considérais comme une amie me manque. Et il en est de même pour mes enfants qui la réclament chaque jour. Gaspard en est meurtri mais il les comprend. Nous avons évoqué l’éventualité d’aller revivre à Gorron. La vieille domestique ne nous suivrait pas. Jeanne retrouverait alors sa place. Mais avant nous accueillerons notre futur enfant, notre but le plus proche. Et avec Gaspard nous guettons sur mon ventre les premiers signes de la vie qui s’annonce.

 

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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 10:40

Le journal de Renée Largerie

 

Lundi 11 octobre 1706

 

Gaspard s’est occupé de notre déménagement. C’est un homme très efficace qui sait prendre des initiatives. Sa situation lui a permis de constituer une petite fortune, modeste mais rassurante. Nous habitons maintenant à Ernée dans sa maison, achetée avec sa première femme. Un logis confortable, à deux étages, en plein centre de la ville. Je craignais de quitter les lieux de mon enfance. Mais, bizarrement, je me suis habituée à ma nouvelle vie sans difficulté.

Un élément a sans doute joué favorablement dans la facilité de mon adaptation à ma deuxième vie. Non seulement Gaspard est prévenant, gentil avec mes enfants mais il semble amoureux de moi. J’ai douté de cet amour, nous ne nous connaissons à peine. Je n’avais pas confiance en moi. Mon corps me paraissait définitivement flétri par mes grossesses et les drames que je venais de vivre. Gaspard réussit à redonner un peu de confiance en moi.

Je craignais notre nuit de noces. Je m’attendais à un de ces assauts dont mon pauvre Jean était si friand. Il n’y eut rien de tout cela. Gaspard parla longtemps alors que je masquais maladroitement mon corps que je considérais comme difforme. Il ne se passa rien et j’en fus si surprise que le lendemain c’est moi qui pris l’initiative. Il me parla alors de mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles.

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3 février 2019 7 03 /02 /février /2019 11:47

 

Le journal de Renée Largerie

 

Vendredi 1er octobre 1706

 

Il me restait deux enfants. L’aîné de mes garçons, François et ma petite fille Louise. J’avais quitté la maison et je logeais chez mes parents à la Renardière. Jeanne aidait les religieuses pour les soins aux indigents. Pour ma part je n’avais ni l’envie ni le courage de faire de même. La mélancolie me guettait. Ma vie était-elle déjà finie à vingt-cinq ans ?

Je n’étais pas loin de le croire. Après quatre enfants, trois décès, veuve au corps fatiguée, à l’esprit embrumé par la souffrance, qui pouvait vouloir de moi ? L’idée de retrouver quelqu’un me paraissait impensable. Et pourtant, en juillet, Gaspard Boullard est venu voir mes parents. Veuf depuis peu, il avait entendu parler de mes malheurs et voulait demander ma main.

Employé dans les fermes du Roi, sans enfant, le parti paraissait très enviable pour mes parents. Ma première réaction fut brutale. Il n’était pas question pour moi de me remarier aussi tôt après mon propre veuvage. Il eut l’air de me comprendre et sa gentillesse me surprit. Il repartit, apparemment triste mais sans ressentiment.

Est-ce cette gentillesse, la grande déception de mes parents, l’insistance même du curé qui tentait de me persuader qui ébranlèrent ma décision ? Toujours est-il que je demandai à le revoir et nous nous sommes mariés le 27 septembre 1706. Depuis ce jour, je me suis remise à écrire. J’ai besoin de revenir sur cet événement qui semble bien avoir ébranlé ma pauvre vie.

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27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 11:54

Le journal de Renée Largerie

 

Samedi 20 mars 1706

 

Quand une grande douleur nous saisis, on ne peut imaginer que cela pourrait être pire. En deux mois, j’ai perdu deux de mes fils. Après mon mari, notre pauvre famille a diminué de moitié. Joseph et Pierre ont rejoint leur père dans la fosse commune du cimetière bouleversé depuis le début de l’épidémie.

Sans ma fidèle Jeanne, je ne sais comment j’aurais pu surmonter ces épreuves. Ma pauvre petite fille, elle-même, ne pouvait me faire sortir de la léthargie douloureuse dans laquelle je me morfondais. Pendant deux mois je n’ai pu écrire la moindre ligne dans mon journal que je reprends aujourd’hui.

J’ai repris ma plume quand notre curé a annoncé un renversement dans le rapport entre naissances et décès dans la paroisse. Il en a remercié Dieu. Je ne peux m’y résoudre. Quand je m’agenouille pour participer aux prières communes, je pense plus à mes enfants disparus qu’à celui qu’on nous présente comme juste et bon. Où sont donc la justice et la bonté dans ce que nous venons de traverser ?

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 10:15

Le journal de Renée Largerie

 

Vendredi 26 janvier 1706

 

L’épidémie fait toujours rage. Toutes les familles sont touchées. Notre curé a organisé une procession, implorant ainsi Dieu d’arrêter le fléau. Nous avons parcouru les rues de Gorron, nous arrêtant à la chapelle Saint-Jacques, au Bignon et à la chapelle Saint-Laurent près de la Renardière. La statue de la Vierge était portée par les représentants des corporations en tenue de gala. De nombreux pénitents, en aube blanche, chantaient de cantiques, certains même, se flagellaient.

Mais la ferveur populaire n’a guère ému notre Seigneur. Le glas ne cessait de teinter. La prière s’est alors transformée en rumeur. L’épidémie devait être apportée par les mendiants. Ce fut la chasse sur toute la paroisse. Des pauvres hères, même ceux qu’on connaissait depuis tout temps, durent s’enfuir. La colère se reporta alors sur tous les étrangers. Toute tête nouvelle de passage en ville entraînait la suspicion.

Je passe des heures, chaque jour dans notre petite chapelle Saint-Michel. Je tremble pour mes enfants. Pour moi, j’accepterais volontiers la volonté divine si je pouvais les sauver. Mais, que deviendraient-ils si je disparaissais ? Aucune lumière dans la chapelle. J’y étais comme dans un caveau, aux prises à une insondable tristesse, seule dans la nuit.

 

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13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 11:40

Le journal de Renée Largerie

 

Vendredi 12 janvier 1706

 

                Un mois à peine après avoir mis en terre mon mari Jean, naissait ma première fille. Dès la première année de mon mariage, j’espérais ce moment. Je voulais apprendre à cette petite comment lutter contre ce qu’on faisait subir aux femmes de nos jours. Lui enseigner la résistance passive, sans éclat mais avec une volonté farouche, refusant cette condition que notre société leur imposait.

                Louise est un magnifique bébé. Curieusement ma bonne Jeanne semble moins intéressée par cette petite fille qu’elle l’avait été par les garçons. Je me demande même, en cette période troublée où la maladie continue son œuvre de mort, si on n’avait pas déjà admis qu’elle ne vivrait pas bien longtemps. Je m’insurge contre cette fatalité. Et si ma situation bien précaire de veuve avec quatre enfants en bas âge m’accable par moments, je retrouve du courage en pensant à ma fille.

                Hier, avec Jeanne et les enfants, nous sommes allés au cimetière. Le corps de Jean était là, dans la fosse commune et nous nous sommes recueillis. Les deux aînés chahutaient, peu sensibles à nos pleurs. Le passage à l’église remit un peu de calme. Nous nous sommes arrêtés près du baptistère où l’on a baptisée Louise. Le marbre rose et le dôme doré m’ont un peu apaisée.

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