Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 mars 2020 7 15 /03 /mars /2020 12:11

Samedi 4 novembre 1758

Un tournant dans la guerre contre les Anglais va semer l’inquiétude dans notre province. Tenus en respect sur terre, ils ont décidé d’attaquer la France par les côtes de la Manche. En supériorité sur mer, avec des barques de débarquements spécialement construites pour envahir notre pays, ils s’attaquent à Saint-Malo et Cancale. Nous apprendrons par la suite qu’ils échouèrent devant la cité Corsaire mais qu’ils détruisirent de nombreux bateaux.

Mon mari a été touché par cette catastrophe. Dans une des cargaisons détruites se trouvaient une grosse commande concernant notre commerce. Et comme si cela ne suffisait pas, un édit royal sollicite, donc exige des villes et des bourgs un don qui nécessite l’augmentation des taxes et autres impôts pesant surtout sur les marchands.

Je comprends la contrariété de mon mari mais quand je pense aux mendiants et autres indigents de la paroisse, je me dis que nous ne sommes pas à plaindre. Avec quelques dames j’aide notre curé à la distribution de vêtements. Les jeunes corps maladifs, les maigres nudités, hantent bien souvent mes nuits.

Partager cet article
Repost0
8 mars 2020 7 08 /03 /mars /2020 10:25

Journal de Renée Boullard

Dimanche 6 novembre 1757

 

J’ai toujours été étonnée par les loteries qui se multiplient dans le Royaume. Les jeux d’argent ont beaucoup de succès chez les familles riches. Il paraît qu’à la Cour de Versailles, tout le monde joue. Certains fils de bonne familles y ont dilapidé la fortune de leurs aïeux. Mais, plus étonnant, sont les bourgeois ou même les classes les plus basses qui perdent leur argent dans l’espoir d’en gagner beaucoup. Heureusement, mon mari n’a jamais joué. Pour lui, le proverbe « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », a tenu lieu de bonne conduite.

Jean a des défauts, comme tout un chacun. Sa famille ne fait pas partie de ses premières préoccupations. Mais c’est un homme ingénieux, courageux, et nous n’avons jamais manqué de quelque chose. Le commerce est toute sa vie. Et il a le don de sentir les marchandises qui ont des chances d’intéresser le client. Parfois on se moque de lui dans notre petite ville quand ses produits sont trop en avance. Il en a cure et attend son heure qui, à chaque fois, arrive.

Je peux donc dire que j’ai une vie confortable. Bien considérée par la population, je m’investis dans les œuvres charitables et mon comportement paraît sans doute comme exemplaire. Je suis de celles qui secondent notre curé. A confesse, il doit s’ennuyer tant mes péchés doivent lui paraître véniels. Et pourtant, quand je sonde au plus profond mon cœur, j’y vois parfois des vagues violentes et sombres.

Partager cet article
Repost0
1 mars 2020 7 01 /03 /mars /2020 12:07

Le journal de Renée Boullard

Samedi 11 septembre 1756

 

Le Roi vient de déclarer notables les maîtres chirurgiens du Royaume. Je pense à ma famille maternelle qui, au temps de mes aïeux, à longtemps souffert du mépris, voire de l’agressivité, de certains notables. On demandait aux chirurgiens de faire des miracles quand la maladie frappait. Bien souvent ceux-ci étaient impuissants face aux épidémies qui secouaient notre pays.

Du côté de la population aisée, de la noblesse, on leur préférait les médecins et les chirurgiens étaient déclarés incompétents. Du côté des plus pauvres, on se tournait vers les guérisseurs et autres sorciers. Quand les remèdes de « grands-mères » étaient inefficaces, on revenait vers le chirurgien qui constatait la dégradation des corps et ne pouvait plus rien faire.

Heureusement, à Gorron, très tôt, des lieux de soins fonctionnaient sur le domaine de la Renardière. Plusieurs chirurgiens exerçaient leur talent et s’entraidaient, secondés par des religieuses dévouées. La mise en commun des pratiques augmentait les chances de réussite. J’ai bien souvent vu de ces petites vieilles, aux jupons troués, aux corps disloqués, pensives sur des bancs avec sur leurs visages un sourire reconnaissant pour leurs soignants dévoués.

Partager cet article
Repost0
23 février 2020 7 23 /02 /février /2020 12:03

Le journal de Renée Boullard

Vendredi 5 septembre 1755

 

Je viens de lire une de ces petites revues bon marché qui circulent en ce moment dans toute la France. Il s’agit d’une « mandrinade » qui raconte les exploits de Mandrin. Nous venons d’apprendre qu’il a été trahi par un des siens et qu’il a été mis à mort. Le supplice est atroce. Il a été roué vif. Attachée sur une roue, on lui brise les membres et la poitrine et il est exposé jusqu’à ce que mort s’en suive.

J’ai du mal à comprendre pourquoi il est besoin de faire souffrir atrocement le condamné à mort. Ôter la vie devrait suffire comme peine. Il se trouve que ce brigand, Mandrin, était plutôt bien aimé par certains car il s’attaquait essentiellement aux caisses des impôts. Et le prélèvement d’impôts est dénoncé comme excessif dans tout le royaume.

Au niveau de la paroisse, la grogne existe aussi. Mais les Gorronnais, mises à part quelques émotions liées au prix du grain, son plutôt calmes. Ils protestent surtout contre le côté injuste de l’impôt. Le clergé, par exemple, y échappe alors que les marchands, comme mon mari, peuvent être lourdement taxés.

Je vais sans doute avoir du mal à dormir. Je ne peux m’empêcher d’imaginer Mandrin. Il paraît qu’il n’avait pas peur de la mort. Il prétendait vouloir faire un mort libre et joyeux.

Partager cet article
Repost0
16 février 2020 7 16 /02 /février /2020 10:08

Le journal de Renée Boullard

Samedi 6 juillet 1754

 

Le fils de Louis XV vient d’avoir un enfant, le duc de Berry. En ligne directe, il pourrait bien un jour devenir roi de France si sa santé le lui permet. Nous sommes tellement habitués à la mort des enfants en bas âge qu’il faut attendre des années pour être rassurés. Et quand un drame arrive dans une famille, les parents, et en particulier la mère, doivent masquer leur douleur et donner l’impression d’accepter la volonté divine.

J’ai moi-même eu cinq enfants. Mon second, François, a vécu à peine un mois. Il a été ondoyé à la maison par la sage-femme. C’est dire si ses chances de survie étaient bien faibles. Il n’empêche que j’ai toujours en mémoire son petit visage, son corps si fragile. Je n’en parle jamais. On ne comprendrait pas. Il faut savoir oublier.

Pour l’instant, mes quatre autres enfants sont toujours en vie. Mon dernier, Pierre, a neuf ans. Je pense que je n’aurai plus de petits. Cela me navre parfois. Mais il faut bien faire avec la nature. J’oublie, comme toute les femmes, les douleurs de l’enfantement. Ne reste que ce petit être qu’on berce dans ses bras et dont la bouche avide cherche le sein offert.

Partager cet article
Repost0
9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 11:45

Le journal de Renée Boullard

Lundi 2 avril 1753

 

Un scandale lors du carnaval à Gorron. La tradition a toujours été vivace dans la ville. Lors des jours gras les défilés et les réjouissances étaient tolérés par le Bailli et ses hommes. Le peuple se défoulait et, généralement, malgré quelques excès de boisson, tout était plutôt bon enfant. Mais, cette année, on a vu apparaître, dans le défilé des masques, des portraits d’évêques, de prêtres…

Le sergent a été obligé d’intervenir. Depuis l’an dernier, déjà, la critique générale du clergé semble se développer dans le royaume. Jusqu’à présent, notre ville en était épargnée mais ces histoires de masques ont révélé des hostilités qu’on ne soupçonnait pas. Notre curé s’en est plaint au Bailli qui a reçu l’ordre de notre seigneur de sévir.

Des masques ont été arrachés. Et on a pu constater avec surprise que derrière se cachaient des visages de Gorronnais bien connus. S’agissait-il de sympathisants protestants ou de véritables mécréants ? Difficile à dire. Ils se sont enfuis loin de la foule railleuse et des gens d’armes trop curieux.

Partager cet article
Repost0
2 février 2020 7 02 /02 /février /2020 11:56

Le journal de Renée Boullard

Jeudi 21 décembre 1752

 

La pratique de la saignée a toujours été  un sujet de désaccord entre mon mari et moi. Il y avait déjà bien longtemps que cette pratique était contestée, notamment par mes aïeux, chirurgiens. On n’y voyait aucun intérêt si ce n’était d’affaiblir encore plus un malade déjà bien fatigué. Par contre dans la famille de Jean, elle était toujours considérée comme le remède miracle. Les exemples se multipliaient dans les récits des Berrier, de guérisons miraculeuses qui, dans leur bouche, devenaient la règle.

J’ai toujours refusé ce traitement que je trouvais barbare pour moi et mes enfants. Quant à Jean, il faisait ce qu’il voulait. Jusqu’à présent, il allait chez un vieux barbier perruquier qui exerçait à Gorron depuis des lustres. Les plus jeunes barbiers se tournaient plutôt vers la petite chirurgie. Jusqu’au jour où il fallut réglementer ces professions tant les tensions entre perruquiers, barbiers, chirurgiens et depuis peu médecins, s’intensifiaient.

Il fut question d’imposer des règles pour les enseignes notamment quand Louis XV supprima officiellement tout lien entre les barbiers et les chirurgiens. Les couleurs rouge ou noir  étant réservé aux seuls chirurgiens. Le vieux barbier perruquier gorronnais, fier de son enseigne, refusait de la changer. Jusqu’au jour où elle fut détruite par un ancien confrère dont un ver haineux rongeait le cœur.

 

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2020 7 26 /01 /janvier /2020 12:17

Le journal de Renée Boullard

Jeudi 16 décembre 1751

 

Emoi à Gorron. Un circulaire oblige les protestants de présenter aux églises catholiques leurs enfants baptisés au désert. On connaissait la formule qui correspondait à l’enregistrement des sacrements clandestins. Mais on n’imaginait pas le nombre de personnes concernées dans la paroisse. On savait, depuis très longtemps que des calvinistes se réunissaient dans l’agglomération. Mais, tant qu’ils restaient discrets, une certaine tolérance leur permettait de vivre leur foi sans trop de problème. Le curé chargé des registres paroissiaux se doutait bien que certains de ses paroissiens ne figuraient pas sur ses registres et il fermait les yeux. Mais il n’imaginait pas que cela touchait autant de familles.

Je fus moi-même surprise. Quelques proches que je prenais pour des catholiques peu pratiquants, s’avérèrent protestants rigoureux, même si, de temps en temps, ils pouvaient donner le change. Cela me surprit mais ne changea rien à mes relations avec eux. Ce ne fut pas le cas pour tout le monde. Mon mari, notamment, m’étonna par son intransigeance. On le sentait trahi. Et c’est moins la haine contre les hérétiques que le ressentiment contre la trahison qui agite son cœur.

Partager cet article
Repost0
19 janvier 2020 7 19 /01 /janvier /2020 11:51

Le journal de Renée Boullard

Samedi 12 décembre 1750

 

Dans la paroisse, il y a quelques mendiants qui passent de villages en villages. Certains sont connus et on leur fait assez facilement l’aumône surtout quand ils sont accompagnés d’enfants.   Quand ce sont des étrangers, souvent on les chasse car ils font peur. Il semblerait que leur nombre augmente, notamment dans les grandes villes. Il a été décidé de les arrêter et de les renvoyer dans leur paroisse d’origine. On en a donc vu arriver à Gorron que plus personne ne connaissait. Ils ont raconté que les enfants seuls étaient enlevés et qu’on ne les revoyait plus. Quant à certaines prostituées, elles sont embarquées pour la Louisiane.

Une belle mendiante rousse a bouleversé le bourg. Sa robe trouée laissait voir sa pauvreté mais aussi sa beauté. Personne ne la reconnaissait. Certains disaient qu’elle était la petite fille de marchands gorronnais, bourgeois respectés. Une déchéance rapide par une fille, placée comme domestique dans une riche maison de Paris, engrossée par le fils de famille. Fille de prostituée, son destin pouvait être tout tracé. Mais au port de sa tête, à ses yeux restés fiers, on pouvait comprendre qu’elle avait toujours refusé de se vendre malgré la misère endurée.

Partager cet article
Repost0
12 janvier 2020 7 12 /01 /janvier /2020 10:07

Le journal de Renée Boullard

Lundi 1er décembre 1749

 

Décidément, les écrivains, les penseurs en général, semblent déranger le Roi. Leurs idées remettent souvent en cause la royauté et son pouvoir sans contrôle. Diderot a été emprisonné à Vincennes. La peine n’est ni longue ni sévère. Il peut recevoir des visiteurs, et au bout de quelques semaines, il est libéré. Il n’empêche que les différentes publications sont étroitement surveillées.

Je suis en train d’essayer de lire certains écrits de Voltaire. Il est plutôt à la mode en ce moment. Mais ceux qui le connaissent bien, évoque sa compagne, Emilie du Châtelet qui mériterait d’être mise plus en avant. Ma mère aurait sans doute aimé cette femme remarquable : femme de lettres, physicienne, mathématicienne… mais, malheureusement, femme, donc moins considérée que l’homme en général.

On parle beaucoup plus de Mme de Pompadour, maîtresse du Roi à qui il a fait construire le Petit Trianon dans le parc du château de Versailles. Souvent en mal, à travers des pamphlets injurieux, les « poissonnades » du nom de la favorite : Jeanne Antoinette Poisson. On ne lui pardonne pas son ascension, les retentissantes couleurs qui parsèment ses toilettes, et l’audace de ses chairs joyeuses. 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de jouvinjc
  • : Principalement axé sur l'histoire locale (ville de Gorron), ce blog permettra de suivre régulièrement l'avancée des travaux réalisés autour de ce thème.
  • Contact

Texte Libre

Vous trouverez dans ce blog trois thèmes liés à l'histoire de la ville de Gorron. Les différents articles seront renouvelés régulièrement. Ceux qui auront été retirés sont disponibles par courriel à l'adresse suivante : jouvinjc@wanadoo.fr

Recherche