Le journal de Renée Boullard
Dimanche 3 novembre 1743
En mars de cette année, une épidémie nouvelle a frappé Paris. Mon frère nous a décrit cette maladie et depuis je ne cesse de trembler pour ma fille. Les premiers symptômes ressemblent à un simple rhume, si fréquent dans notre région où la pluie et les brouillards se succèdent. Quand ils se manifestent, on ne peut imaginer que l’issue de cette grippe, puisqu’on l’appelle ainsi, puisse être mortelle, notamment pour les bébés et les vieillards. Heureusement, elle n’a pas atteint le Bas-Maine.
Cette angoisse m’a montré que cette petite Jeanne occupait une place très importante dans ma vie actuelle. Gaspard, mon mari, me mettait en garde. Il ne fallait pas s’attacher aux enfants tant qu’ils n’ont pas atteint un âge raisonnable. J’essaie de m’en convaincre mais je n’y arrive pas. Pour conjurer la peur, je me suis mise à peindre des bébés. Je ne faisais plus que cela, au désespoir de mon professeur qui aurait voulu une production plus large. Paraît-il que j’aie quelque talent.
Je ne suis pas assez habile pour montrer les émotions de mon bébé sur son visage. J’essaie alors, plus par la couleur que par le trait, de projeter sur la toile ce qui m’étreint quand je peints. Et ce sont les yeux qui concentrent ces pauvres tentatives. Quand ils s’ouvrent, hésitants, et se posent sur moi, j’aimerais pourvoir rendre ces clartés que je voudrais éternelles.