Le journal de Renée Largerie
Dimanche 18 décembre 1701
J’ai assisté, ce matin, à une scène qu’on ne devrait jamais voir dans une église. Derrière le banc du baron de la châtellenie, trois personnes en arrivèrent aux mains prétendant avoir la préséance sur le banc suivant. Le procureur du Roi du grenier à sel de Gorron revendiquait cette préséance. Sa revendication était contestée par les Sieurs du Bois-Brault et du Rocher. Malgré les supplications du curé appelant à la raison, personne ne voulait céder. Les fidèles, silencieux au début de la scène, finirent par en rire, sauf ceux qui avaient déjà eu affaire avec la gabelle, qui insultèrent le procureur.
Il faut dire que notre province est vigoureusement imposée sur cet ingrédient indispensable à la bonne tenue de nos cuisines. De plus, la réputation des gardes chargés de récolter l’impôt et de poursuivre les contrebandiers, n’est plus à faire. Dans beaucoup de familles, des histoires circulent sur la grossièreté, la violence même, parfois, de ces gens malhonnêtes qui n’hésitent pas à s’attribuer une partie de l’impôt.
Quand j’ai raconté la scène au dîner, j’ai perçu le regard de Jeanne. Ses beaux yeux brillaient d’un éclat inhabituel. J’ai cru qu’elle aussi avait eu affaire aux tristes sbires. Elle démentit toute agression et parla d’une belle fille aux cheveux roux dont la robe à trous excitait les gabelous. Des larmes coulèrent sur ses joues échauffées. Si bien que le doute m’est resté sur l’identité de la fille agressée.