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30 décembre 2018 7 30 /12 /décembre /2018 09:14

 

Le journal de Renée Largerie

 

Mardi 02 juin 1705

 

                Je suis à nouveau enceinte. Décidément, ma vie pourrait bien se réduire à une succession de grossesses et d’accouchements. J’ai abandonné ma tentative de contrôle de la santé trop vigoureuse de mon mari. Comme j’ai lâché prise dans les soins de mon corps. A quoi pouvaient servir mes régimes alimentaires quand mes seins et mon ventre subissaient régulièrement des déformations monstrueuses.

                Je ne suis pas la seule dans  ma situation qu’on dit avantageuse. On peut se demander si la mort qui rôde depuis le début de l’année, frappant les plus jeunes et les plus vieux, ne poussait pas à créer  compulsivement la vie. Renouveler la population, perpétuer l’humanité, autant de sentiments confus qui déchaînent l’activité sexuelle. On dit même que lorsque le malheur frappe dans une famille, le soir même de la sépulture, les proches se précipitent dans leur couche pour s’abîmer dans le plaisir des corps.

                Quand notre pauvre père Renard s’est éteint à la Renardière où mon père lui avait réservé un lit, j’ai été touchée mais sans doute pas suffisamment. Mon mari, malgré la fatigue due aux soins qui se multipliaient, à peine la fosse refermée, voulut m’entraîner dans notre chambre. Je ne me suis pas résignée comme j’en avais l’habitude et prétextai un mal de ventre pour refuser l’assaut. Et ce soir, il me laisse tranquille, c’est pourquoi je peux écrire quelques mots dans mon journal.

               

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16 décembre 2018 7 16 /12 /décembre /2018 16:16

Le journal de Renée Largerie

 

Jeudi 12 février 1705

 

                On s’attendait à une vague de froid intense à Noël. Et, brutalement, la température s’est mise à monter. Depuis deux mois, on se croirait en automne. Pluie, vent, douceur vénéneuse… On a déjà connu des périodes de ce genre dans les années passées. Elles se sont toujours terminées par des épidémies, des disettes. Les miasmes prolifèrent quand ils ne sont pas détruits par de bonnes gelées. Les graines pourrissent dans les terres détrempées.

                Le nombre de décès, notamment chez les enfants en bas âge, l’emporte sur celui des naissances. Les mariages eux-mêmes se raréfient. On attend les beaux jours pour les célébrer dignement. Il n’est pas encore question d’épidémie mais les soignants s’y préparent. Mon père, mon mari et les trois religieuses de la Renardière se sont réunis à la maison lundi dernier. Ils sont inquiets et prennent leurs précautions : aménagement de chambres pour accueillir les indigents, contact avec les apothicaires pour renouveler les stocks de médicaments…

                Je suis allée hier, à la demande de notre curé, visiter une famille qui venait de perdre un enfant de six mois. On a beau en avoir l’habitude, ce genre de disparition bouleverse toujours. Notamment chez les pauvres qui, apparemment, semblent s’attacher plus fortement à leur progéniture. A moins que leur manque d’éducation les empêche de maîtriser la manifestation de leurs émotions  En rentrant chez moi, alors que la lumière devenait blafarde, j’aspirais au repos, le cœur plein de pensées funestes.

 

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9 décembre 2018 7 09 /12 /décembre /2018 15:48

Le journal de Renée Largerie

 

Mercredi 10 décembre 1704

 

Samedi dernier, avec quelques dames de la paroisse, j’ai participé à la distribution de vêtements aux indigents. C’est notre curé qui a instauré cette pratique. Quelques semaines avant Noël, il recueillait des vêtements chauds, dons des familles aisées. Et il organisait une cérémonie officielle, après la grand- messe, pour la distribution. J’ai toujours été mal à l’aise lors de cette cérémonie. J’aurais préféré quelque chose de plus discret car certains indigents ont parfois honte de leur situation.

Parmi eux, notamment, il y a ceux qui sont tombés dans la misère après une maladie, un accident, voire un décès du chef de famille. Ceux qui ont subi une inondation, un incendie, détruisant leur boutique. La déchéance était alors une souffrance morale et, bien souvent, ils auraient aimé cacher cette souffrance plutôt qu’être exposés à la charité publique. Les bienfaiteurs pouvaient avoir des motivations diverses. Et certains d’entre eux, les moins sincères, se rassuraient au spectacle de la misère des autres.

Et puis il y avait les miséreux, pour qui la mort, seul but ultime de la vie, leur permettait d’avancer. Des cieux,  espérés accueillants, les faisaient tenir et les vêtements offerts mettaient sur leur visage un semblant de joie. Et ces sourires tristes me bouleversent.

 

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 11:41

Le journal de Renée Largerie

 

Vendredi 06 juin 1704

 

                Deux sœurs ont accouché le même jour. L’événement, en soi, n’est pas banal même pour des filles mariées le même samedi. La famille économisant un peu sur les frais des noces. Mais, cette fois, ce fut un véritable événement. Car les deux bébés sont illégitimes, les sœurs étant célibataires et bien jeunes pour accoucher. Le scandale a secoué la ville depuis plusieurs jours déjà. Les commérages allaient bon train quand la sage-femme elle-même y mit fin avec l’autorisation du chef de famille.

                Même si cela était rarement dit, de pauvres filles enceintes sans mari le devaient à leur père lui-même. Le scandale était étouffé en cherchant un pauvre bougre près à endosser la paternité en échange d’une situation qu’il n’aurait jamais pu trouver autrement. Cette fois, la situation était moins scabreuse et plus pittoresque. Il y a environ neuf mois, un régiment de hussards est passé par la ville. Deux soldats avaient trouvé refuge dans la ferme des deux jeunes accouchées. La suite se dispense d’explication.

                Les deux hussards devaient avoir un bel uniforme et des arguments décisifs. Peut-être même se sont-ils laissés aller à quelques contraintes. On condamnait, bien sûr, surtout les hommes. Mais certaines femmes ont, elles, rêvé de ces beaux amants, leur tendant un miroir dans lequel elles se trouvaient si belles.

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 11:42

 

Mercredi 02 avril 1704

 

 Un grand tumulte dans la ville lundi dernier. Pierre Guerrier, un jeune homme de 20 ans, condamné à mort pour pillage et meurtre s’est évadé des geôles de la prison. Grand et vigoureux, il a assommé son gardien. Poursuivi par le sergent du bailli, il s’est réfugié dans l’église. Grimpant dans le clocher, il menaçait de sauter si on ne respectait pas la franchise et l’immunité du lieu sacré.

On alla quérir Le curé Le Picard qui confirma le statut du lieu saint. Le sergent et ses hommes ne pouvaient franchir les portes et entrer en armes dans l’église. La foule se pressait dans le cimetière autour de l’église, chacun donnant son avis. Le jeune homme était un grand pécheur. Il avait torturé le couple Hossard propriétaires de la ferme de la Courçonnais qu’on soupçonnait posséder un trésor. L’homme et la femme refusèrent de parler. Il les étrangla.

Je ne savais trop quoi penser. Le meurtrier méritait la mort. Et, pour autant, l’Eglise défendait le pardon des fautes, l’accueil de tous, même des pires d’entre nous. On le laissa dans la protection de l’Eglise. Ce soir, en écrivant, je vois le bourreau jouissant des sanglots du martyr et je me réjouis de la grâce obtenue par notre curé pour le jeune homme repentant.

 

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18 novembre 2018 7 18 /11 /novembre /2018 11:33

Le journal de Renée Largerie

 

Mercredi 30 janvier 1704

 

Pierre a un mois à peine. Cette fois, l’accouchement s’est très bien passé malgré son poids étonnant. Notre garçon est en pleine forme. Et heureusement. Son arrivée dans le monde a coïncidé avec un froid et une gelée exceptionnels qui durent anormalement. En me levant, ce matin, j’ai été stupéfaite de voir notre noyer fendu par la glace jusqu’à la racine. J’espère que cela n’est pas un mauvais présage.

Dans la cheminée de la grande salle de notre maison, de grosses bûches brûlent continuellement. Le père Renard y veille. Nous avons installé un lit près de cette cheminée. Jeanne y dort avec les aînés des garçons. Elle ne pouvait rester dans sa chambre sans feu. Ce nouvel aménagement la réjouit. Ils se pelotonnent tous les trois dans la chaleur de leurs corps et dorment paisiblement.

Si le grand froid est douloureux pour les pauvres et annonce de futures difficultés frumentaires, le spectacle qu’il nous offre est magnifique. Les eaux glacées des rivières et des étangs révèlent des reflets bleutés et des brillances changeantes. On y voit des oiseaux étrangers comme les cygnes ou les oies sauvages qui, habituellement, ne s’attardent pas dans nos contrées. Leurs pattes palmées frottant la glace, leur donnent une démarche pathétique. Et leurs cous tendus vers le ciel désespérément bleu, semblent adresser des reproches à je ne sais quel dieu.

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11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 10:10

Mercredi 3 octobre 1703

 

Je suis à nouveau enceinte. Décidément, la grande famille voulue par mon mari se précise. J’espère ne pas connaître un accouchement aussi délicat et douloureux que celui vécu pour l’arrivée de François. Mais une autre inquiétude me torture. Trois ans de mariage, trois naissances. Et quand je regarde mon corps, je me désole.

Je n’ai jamais été coquette, respectant les codes imposés par l’église. Mes cheveux sont le plus souvent bien rangés sous ma coiffe. Mon corselet est toujours fermé jusqu’au cou quand je quitte ma maison. Mes vêtements, en général, sont suffisamment amples pour que mes formes restent discrètes.

Pourtant, ces formes me plaisent. Il m’arrive de me déshabiller entièrement, et pas toujours pour me laver. Avant mon mariage, ma peau était lisse, tendue. Mes seins, plutôt abondants, se tenaient fièrement sans soutien. Et surtout, mon ventre était particulièrement plat.

Tout cela a bien changé. Ce n’est pas l’effondrement mais le relâchement s’accentue. Et quand il m’arrive parfois de caresser ce corps, demandant pardon à Dieu, les plis sous ma main se multiplient. Et c’est avec nostalgie que je pense à l’ancien poli du cuivre ravagé désormais par de vilaines vergetures.

 

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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 10:40

Samedi 10 février 1703

                Le froid est vif. Les pauvres, sous leurs maigres haillons, grelottent dans leurs masures. Je remercie Dieu chaque jour de m’avoir donné le confort d’une belle maison dont les cheminées, dans chaque pièce, peuvent à tout moment  accueillir les plus belles bûches. Je peux, ainsi, préserver le petit François des agressions mortelles charriées par la mauvaise saison.

                Mais le froid n’est pas le seul à martyriser les pauvres. La nourriture aussi leur manque. Fini le potager, ressource essentielle à leur survie. Certains, poussés par la faim, bravent le courroux de notre seigneur. Bien que souvent absent de notre bourg, son interdiction de toute chasse sur ses terres reste impitoyable.

                Le sergent du bailli a arrêté hier un braconnier famélique ne pensant qu’à sa famille. Il est exposé devant les halles, cou et poignets entravés. Je n’aurai pas dû aller y voir, rajoutant ainsi à sa honte. Je me suis vite enfuie devant la scène plus dégradante pour les curieux que pour la pauvre victime elle-même. Poursuivie par l’image déchirante de l’effort des vertèbres refusant de courber la tête et des muscles saillants émergeant des haillons souillés.

 

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