
Article XV: Les paroissiens de Vieuvy :
7. Échange avec « Mossieur le Couré »... (1ère partie)
Illustration : Louis Le Nain, Famille de paysans dans un intérieur, 1642 ( Musée du Louvre)
Dans sa première visite pour se présenter et faire la connaissance de ses ouailles, l'abbé Fleury, attentif, s'intéresse de la situation de tous, et en particulier des ménages les plus humbles : « je m'informois du nombre d'enfants, du profit du travail, de leurs moyens de subsistance, afin de subvenir à leurs besoins ».
En deux articles, je laisse l'abbé raconter un accord qu'il conclue avec bienveillance avec un vieux fermier, père d'une grande famille. Point intéressant, il restitue les paroles du « bonhomme Mathurin » en patois (dans un parler qui nous fait penser au personnage de Pierrot, le paysan du Dom Juan de Molière...) :
« Je trouvoi dans un des villages, un nombre si prodigieux d'enfants dans la maison, que je demandoi s'ils étoient accourus de tous les villages pour me voir et m'embrasser. – « Nenni, Mossieu, répondirent les parents, ce sont tous nos enfants que v'la ; grâce à Dieu, je n'en avons point enterré. » Cette réponse me frappa d'autant plus que le père étoit vieux et la femme toute jeune. – « Combien en avez-vous donc? » – « Quinze, ni plus, ni moins, mon bon Mossieu. Approchis, Michaut, embrassis Mossieu le couré ; venis Pierrot, Louisot, Jeannot, Jacot, Tiennot, marchis donc embrassir Mossieu le couré. J'avons dix garçons et cinq filles ; les quatre grands rendant de grands services au pauvre bonhomme Mathurin ; les petiots font ce qu'ils pouvant. Pour mé et mes filles, je travaillons au ménage, aux véches, aux pourcéaux, à la poupée et au beurre. » – Tous ces enfants étoient jolis, propres, quoiqu'en guenilles, gros, gras, avec de belles couleurs au visage. – « Comment faîtes-vous pour nourrir toute votre famille ? Votre métairie est-elle grande ? Combien en payez-vous ? » – « Ah ! Mossieu, je faisons comme je pouvons ; le bon Dieu bénit les grandes familles, je payons cher nout' ferme qui n'est pas biaucoup grande ; les bourgeas ne sont jamais contens ; ils nous arrachant le cœur du ventre. Je vendons un peu de fil, quelques bestiaux pour suffire à tout ; je ménaigeons le pain. » – « Allons, bonhomme Mathurin, et vous, brave Peresse, faisons un marché. » – « Ben volontiers, Mossieu le couré ; de qué est-il question ? »
Corentin Poirier