Le journal de Marie Constance Péan (épouse Charles Boullard)
Bernadette Soubirous
Décembre 1858
Je me suis abonnée aux trois hebdomadaires qui paraissent dans la Mayenne. Cela me permettra d’enrichir le journal que je tente de tenir régulièrement.
Un attentat à la bombe contre Napoléon III a fait 8 morts et 142 blessés. L’Empereur et l’impératrice en sont sortis indemnes.
D’une manière générale, la répression contre tous les opposants à l’Empire s’accentue. Les emprisonnements ou exils se multiplient. Un certain Proudhon a été condamné à trois ans de prison pour avoir édité un ouvrage « sédition ». Il est obligé de s’enfuir en Belgique.
Et pendant ce temps-là, la France renforce sa présence dans ses colonies (Cochinchine, Afrique…).
Un événement plus heureux est arrivé cette année. Bernadette Soubirous a été témoin de plusieurs apparitions de la Vierge à Lourdes. Certains émettent des doutes sur ce phénomène. Moi je voudrais bien y croire.
Le journal de Marie Constance Péan (épouse Charles Boullard)
Décembre 1857
On a connu des élections dans notre canton et notre département. Le duc d’Abrantès (Eugène Leray) est élu conseiller général. Le baron Mercier est élu député de la Mayenne. En cette France devenue Empire, la noblesse, joue encore un rôle politique important.
Un procès contre l’écrivain Flaubert pour « outrage à la morale religieuse et aux bonnes mœurs » m’a donné envie de lire son roman Madame Bovary. L’héroïne ne m’a pas paru très sympathique mais l’écriture de l’auteur m’a bien plu.
Un autre ouvrage m’a intéressée. Bien que je ne sois pas très portée vers le spiritisme, Allan Kardec y développe des idées étonnantes qui semblent bien reçues dans notre Bas-Maine.
Quant au poète Baudelaire, certains poèmes peuvent choquer, je pense notamment à « une charogne », mais je relis souvent ses vers. Une nouvelle poésie qui me convient bien.
La lecture, chez moi, occupe une grande place. J’ai récupéré un belle bibliothèque en chêne massif. Et je compte bien la compléter progressivement avec de nouveaux auteurs.
Sous l’ancien régime, le monde agricole dominait en nombre la société française. Mais ce monde était loin d’être homogène. Du pauvre journalier qui louait ses bras aux propriétaires des terres qu’ils exploitaient en employant des commis de ferme, les différences en termes de richesse et de qualité de vie étaient très importantes.
Chacun essayait de monter dans l’échelle sociale. En achetant des parcelles de terre et en construisant sa maison. La marche la plus importante était d’acquérir un matériel agricole et un moyen de traction animale permettant d’exploiter soi-même ses terres. Terres souvent modestes en superficie. Complétées par des terres en fermage.
Dans le roman, la famille Launay, au départ, possède une araire et deux vaches pour la tracter. L’achat d’une charrue, capable de retourner la terre grâce à son versoir, contrairement à l’araire qui se contentait de la griffer à une profondeur limitée, marque une étape importante dans l’ascension sociale de la famille. L’achat du cheval pour tracter la charrue, plus lourde, jouera aussi un rôle dans l’histoire.
Le mariage de mon neveu, Charles Etienne Boullard et de Marie Constance Péan, a été un événement important dans notre petite ville. Notre vieille église, qui commence à être bien délabrée était pleine. Un nombre important de Gorronnais attendaient à la sortie, espérant quelques piécettes et quelques friandises. Jean Bruneau, notre curé doyen était ravi. Un parent du marié, Louis Péan Launay, maire, a donné une certaine ampleur à la cérémonie.
Je me sens de plus en plus fatiguée. A l’évidence, ma fin est proche. J’ai très vite sympathisé avec la jeune mariée. Je lui ai montré mon journal qui prolongeait celui de mes ancêtres. Elle a semblé très intéressée. Je vais lui confier ce journal en espérant qu’elle saura le tenir régulièrement, avec sa propre sensibilité. Ce sera à la fin du mois, à la veille de l’année nouvelle.
Sur la place du Champ de Foire, le comice agricole a marqué cette année. Le nombre des animaux exposés était impressionnant. Une fête avec de nombreuses manifestations était organisée. Si l’industrie et les chemins de fer se développent de plus en plus vite dans notre Second Empire, l’agriculture, en général, n’est pas oubliée par nos ministres. La mécanique agricole connait des progrès importants.
Faire la guerre semble une nécessité pour les hommes. La France s’engage dans un conflit aux côtés de l’Angleterre et de l’Empire Ottoman contre la Russie. Je serai bien incapable d’expliquer pourquoi. Ce que je sais, par contre, c’est que de nombreux malheureux jeunes hommes y trouveront la mort. C’est désolant.
On a déjà beaucoup à faire avec les épidémies qui s’abattent régulièrement sur la pauvre population. Cette fois, il s’agit de choléra. On dit que la moitié des malades infectés décèdent. Les hommes, plutôt que de se battre feraient mieux d’essayer de découvrir les moyens de lutter contre ces épidémies.
Des scientifiques comme notre Pasteur devraient être honorés avant tous ces généraux chamarrés, fiers de leurs massacres. Je préfère entendre parler de la création d’un Institut Normal Agricole qui permettra la formation d’ingénieurs susceptibles d’améliorer nos techniques utiles pour notre nourriture que de victoires sanglantes.
Notre canton a désormais un représentant : le conseiller d’arrondissement. Il s’agit de M. Leray d’Abrantès. Un riche propriétaire dont la famille possède les châteaux d’Hercé et de Lévaré. Un descendant, par alliance, du duc d’Abrantès (Junot), général de Napoléon 1er.
On a appris que des voies nouvelles vont être ouvertes dans Paris par le baron Haussmann. Une modernisation des villes qui détruit des quartiers anciens entiers. Ces nouveautés, on les retrouve dans les plus petites villes. A Gorron, on élargit, on retrace les rue, on ouvre de nouvelles voies. La rue Magenta, la rue du Maine, aboutissent au carrefour des Quatre Piliers qui devient une grande place, au centre de la ville. De ce centre partent désormais sept rues qui permettent une circulation plus aisée : d’ouest en est et du nord au sud. Là aussi, des immeubles doivent être démolis, en partie ou totalement. L’auberge, qui a donné son nom au carrefour, a perdu ses arcades.
Comme d’habitude, après son coup d’état, le Prince-Président commence par limiter la liberté de la presse. Cela n’annonce rien de bon en matière de liberté. D’autant plus que les réunions publiques de plus de vingt personnes sont interdites. L’état de siège ne sera levé qu’en mars. Et ce qui paraissait inévitable est arrivé : la deuxième république est remplacée par le Second Empire. Louis Napoléon Bonaparte devient l’Empereur Napoléon III.
A Gorron, comme souvent, les citoyens acceptent les changements politiques nationaux sans trop de discussions. Si notre maire, César Ledauphin-Blinière n’est plus en fonction, c’est à cause de problèmes de santé. Il décèdera le 20 avril 1852 en son château à Hercé. Il sera remplacé par un conseiller municipal (en fonction depuis 1832) qui deviendra maire en janvier 1852 : M. Péan-Launay. Comme son prédécesseur, il est recensé comme propriétaire. Un profil de notable qui ne devrait pas changer grand-chose dans la gestion de la ville.
Une loi estvotée pour relever l’âge minimum des enfants mis au travail. Théoriquement, il sera interdit de faire travailler des enfants ayant moins de 12 ans. Cette loi me paraît bien inapplicable dans le monde agricole. Qui viendra contrôler l’interdiction ?
Une affaire criminelle nous a fait trembler. Une femme a avoué les meurtres de dizaines de personnes par empoisonnement. On ne connaît pas ses véritables motivations. Elle utilisait de l’arsenic qu’elle mettait dans la nourriture. Les victimes mourraient avec des symptômes proches de ceux du choléra. C’est pourquoi elle a pu tuer en toute impunité pendant des années.
Un coup d’Etat que certains prévoyaient. Le Président de la République Louis Napoléon Bonaparte prend le pouvoir. On se dirige vers un nouveau régime. Les Républicains se soulèvent et son réprimés sauvagement.
Ma santé est miraculeusement meilleure. Je croyais être arrivée au seuil de la mort. Je dois, bien sûr me protéger. Mais peut-être ai-je encore à vivre quelques années. Et je compte bien les savourer.
Et de connaître de belles nouveautés. Désormais, les agglomérations de plus de 800 habitants devront avoir une école communale de filles. A Gorron, nous avons déjà un enseignement pour les filles grâce aux religieuses de l’hospice. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres petites villes.
Une autre loi a été votée contre les logements insalubres. Je doute que cela puisse changer grand-chose à Gorron. Les petites maisons au niveau de la Colmont au pont de Hercé risquent fort de rester trop humides du fait des crues de la rivière.
Nous avons appris le décès d’Honoré de Balzac. Dans ma modeste bibliothèque il y a beaucoup d’ouvrages de cet auteur. J’ai depuis longtemps suivi ses nouveaux écrits. Ses romans me manqueront.
Notre Président parcourt la France. Il est souvent applaudi. Parfois même salué par des « Vive l’Empereur » qui provoquent des réaction hostiles de la part des Républicains.
Ma santé reste bien fragile mais ne s’aggrave pas. J’ai eu très peur quand l’épidémie de choléra, partie de Paris, s’est répandue dans de nombreux départements. Si j’avais été atteinte je ne m’en serais certainement pas remise. Je songe à transmettre mon journal à une femme plus jeune et en meilleure santé de ma famille.
Nous avons un Président de la République dont le nom évoque des souvenirs diversement appréciés dans la population. Il s’agit de Louis Napoléon Bonaparte qu’on appelle aussi le Prince-Président. Des élus de gauche s’opposent à lui. Et, déjà, des mesures contre la presse, et contre les associations en général, sont prises.
Notre société est en train de changer. Les ouvertures de lignes de chemin de fer se multiplient. La Poste se développe. Les communications nouvelles y sont sans doute pour beaucoup.
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Principalement axé sur l'histoire locale (ville de Gorron), ce blog permettra de suivre régulièrement l'avancée des travaux réalisés autour de ce thème.
Vous trouverez dans ce blog trois thèmes liés à l'histoire de la ville de Gorron. Les différents articles seront renouvelés régulièrement. Ceux qui auront été retirés sont disponibles par
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