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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 10:26

Trop sûr de moi, sans doute…

Il y a parfois des forces qui nous dépassent. Je savais bien qu’en contestant les ordres imbéciles de notre commandant je risquais gros. Mais les premiers pas étant faits, il n’était plus question de reculer. Il y a vingt ans, j’aurais pu aller chercher mon larcin derrière le bois du préau de l’école et tout remettre en place. D’autant plus que je n’avais que faire de ces fournitures. Et l’affaire aurait été réglée pour tout le monde. Mais je n’ai jamais pu m’y résoudre comme si l’enjeu pour moi était devenu essentiel. De la même façon, le danger que représentaient les ordres imbéciles n’était pas pour moi un véritable problème. J’en avais vu bien d’autres. Mon lieutenant essayait de me convaincre. J’aurais pu, sans déchoir, accepter les faveurs qu’il me faisait miroiter. Je ne serais pas cette fois en première ligne. Peut-être que j’aurais même pu ne pas franchir le parapet. Mais je m’obstinais. Certains crurent que je contestais les ordres pour protéger mes camarades. Ceux notamment qui les premiers tombaient. On les repérait très vite. Encore une fois, les veaux à l’abattoir. Mais il n’était nullement question de ça. La vie de ces trouillards m’importait peu. Je m’étais engagé dans un refus qui, cette fois encore, m’était devenu essentiel. Et je ne sais toujours pas pourquoi.

J’ai parfois cru que j’avais du mépris pour les soldats qui montraient leur peur. Je ne crois pas que cela soit tout à fait vrai. Je les classais plutôt dans la catégorie des instruments utilisables pour mon confort personnel. Quand après le défilé nous partîmes pour le front, je choisis la meilleure place dans le wagon enfumé. Je voulais pouvoir ouvrir la fenêtre quand bon me semblait mais en même temps avoir un accès aisé au couloir quand l’envie me prenait de me dégourdir les jambes. Je choisis alors mes voisins de compartiment. Personne n’osa me refuser. Certains étaient fiers d’avoir été choisis. D’autres subissaient sans rien dire. Et au cours du voyage, je déplaçais tout le monde au gré de mes envies. Je me demande encore pourquoi personne à ce moment ne s’est révolté, me jetant en dehors du compartiment. Cela aurait peut-être été pour moi une bonne chose. Mais ce ne fut pas le cas. Aussi quand nous stationnâmes dans des espèces d’appentis adossés à une colline proche du front je choisis encore la place qui me paraissait la meilleure. En changeant, d’ailleurs, sans vergogne, quand l’envie m’en prenait.

J’étais près de la porte, où plus précisément de l’ouverture qui permettait d’accéder au local sombre, dont les murs en bois avaient du mal à contenir la terre du talus. C’est là que je vis mes premiers blessés. Pour certains même, on peut dire à moitié morts. Les soldats, près de moi eurent un mouvement de recul. Certains détournèrent leurs regards. D’autres semblaient fascinés, pétrifiés. Moi, je crois pouvoir dire que j’étais simplement intrigué et curieux. Il faut dire que le médecin qui menait la petite troupe de brancardiers de retour du front était un Gorronnais que je connaissais un peu. Cela mettait un peu de familiarité dans la scène tout de même bien étrange, même pour moi. Il y avait les semi-valides qui avançaient péniblement. Je fus presque amusé par leurs pansements grotesques maculés de sang et de boue. Ils étaient silencieux, souvent courbés. J’avais presqu’envie de leur crier de se redresser. Je ne pouvais m’imaginer défait, abattu de la sorte. Il me semblait que tout cela manquait un peu de dignité. Et puis, derrière il y avait les demi-morts. Ceux-là m’intéressaient plus. J’entrevoyais des blessures incroyables et me demandais comment on pouvait continuer à vivre abîmés de la sorte. L’idée même m’était insupportable. Quand on reçoit de telles blessures, on doit mourir, voilà tout. C’est sans doute à ce moment précis que je me suis persuadé : je ne serai jamais blessé. Mort, peut-être, mais foudroyé. Il suffisait sans doute pour cela d’aller au devant du danger. Si notre fortune était bonne, on pouvait en réchapper. Sinon, l’exposition ne pouvait qu’entraîner une mort immédiate. Des protestations s’élevèrent. On ne pouvait donner en spectacle les blessés de la guerre aux jeunes mobilisés qui arrivaient au front. Le moral des troupes risquait de s’en trouver altéré. Et personne ne pouvait se douter que pour moi l’effet avait été inverse.

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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 12:00

Tout avait bien commencé…

Quand les cloches sonnèrent, l’enthousiasme chez moi ne fut nullement surjoué. Quitter le village, voir du pays, oublier l’usine… Rien ne pouvait me faire plus plaisir. Et je continuais à chanter et à boire dans les trains qui nous menaient à la ville de garnison, animé d’une joie profonde qui avait déjà quitté bon nombre des autres mobilisés. Je me souviens notamment du petit Gaspard Pouilleul, un autre Gorronnais qui semblait déjà bien triste. Il faut dire que celui-là n’avait jamais été très dynamique. Plutôt toute la misère du monde, en toutes circonstances. Je l’oubliai d’ailleurs très vite, attiré par un groupe de joyeux lurons déjà bien avinés. C’est comme cela que se forgea une camaraderie qui disparut seulement quand la guerre imposa sa loi. Mais avant de connaître le front, nous passâmes quelques semaines dans une ville de garnison. Les exercices, qui semblaient ennuyer beaucoup de monde, curieusement me plaisaient. Même lorsqu’il fallait marcher au pas sous des ordres parfois imbéciles. Dès qu’on demandait un volontaire pour montrer aux autres ce qu’ils devaient faire, j’étais toujours le premier. Il faut dire que plus l’exercice était périlleux, plus il me plaisait. Je me fis alors une belle réputation : apprécié par les chefs et envié par beaucoup dans la troupe.

Cela me valut quelques avantages. Outre le statut social, les sorties en ville étaient d’autant plus facilement accordées. Il y eut tout d’abord les débits de boissons avec leurs serveuses que je ne laissais pas indifférentes. Et puis, très vite, je devins le chouchou des dames des maisons closes qui fleurissaient dans la ville. Certaines me recherchaient et cela rajoutait à ce prestige social dont j’ai déjà parlé. J’appris beaucoup de choses dans ces lieux qu’on appelait chez moi de perdition. Même si je savais que dans la famille les mâles avaient bien souvent eu recours à ces filles trop fardées. La dépense physique, dans tous les sens du terme, la fête agrémentée d’alcool, le poids des responsabilités envolé… J’étais heureux. Et quand je défilai, la veille de notre départ au front, j’étais déjà convaincu que l’aventure continuait…

On m’avait mis au premier rang. Mon uniforme, au pantalon rouge ajusté, soulignait l’aisance de mon corps qu’on n’avait cessé de louer. La tête haute, je distribuais des sourires éclatants aux femmes qui me regardaient à la dérobée. Quant aux joyeuses pensionnaires des maisons qu’on avait libérées le temps du défilé, je leur jetais des clins d’œil égrillards, ne pouvant les saluer autrement. Elles criaient, riaient, me saluaient de la main, le bras dénudé sous le regard intéressé ou furibond des couples qui étaient venus voir le défilé. Je voyais bien qu’au cœur du défilé certains soldats se traînaient et ne semblaient guère goûter les joies de la mobilisation. Il faut dire qu’on les avait attifés d’uniformes dépareillés, le plus souvent mal adaptés à leur taille déjà peu avantageuse. J’ai eu le sentiment, qui ne fit que se confirmer par la suite, d’avoir plus affaire à des bovins menés à l’abattoir qu’à de fiers soldats défenseurs de la patrie. J’avais peu d’estime pour les geignards ne pensant qu’à rentrer chez eux, pour les couards qui angoissaient dès qu’il était question du front. C’est sans doute pour cela que leur sort ne m’a jamais vraiment intéressé. Ils me faisaient penser aux élèves de l’école de Gorron quand je m’étais servi dans l’armoire aux fournitures. Les menaces de punition collective en faisaient trembler plus d’un. Et leur peur renforçait ma volonté de provoquer le maître et pour tout dire la terre entière. C’est sans doute aussi pourquoi je me retrouve aujourd’hui dans une telle situation.

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 11:47

La condamnation…

On m’a donné des feuilles, un crayon… On m’a même apporté une lampe à acétylène. Il faut dire qu’il fait bien sombre dans la casemate. Que m’arrive-t-il ? On doit me fusiller demain. On m’accorde la faveur d’écrire à qui je l’entends. Et je m’installe sur la petite table branlante, sans appréhension. J’ai d’abord pensé que je n’avais rien à dire. Ma famille, depuis trois ans, je l’ai plutôt oubliée. Il faut dire que les quelques jours de permission n’ont été agréables pour personne. Je n’ai ni femme ni enfant. L’entreprise familiale ne m’a jamais beaucoup intéressé. Le village gorronnais me semble bien loin maintenant. L’essentiel de ma vie, finalement, c’est cette guerre. Je vais donc essayer d’en parler. Pour que les autres comprennent ce qui m’est arrivé. Je me sens très calme. J’ai tellement souvent risqué ma vie que l’échéance qui m’est promise m’indiffère un peu. Et puis, j’ai toujours cru, dès le début que je me sortirais de l’enfer dans lequel on nous a brutalement plongés. L’espoir est encore là. J’ai tellement entendu parler de simulacres d’exécution pour terroriser la troupe que je me dis : peut-être ?

De Gorron, mon village natal, j’évoquerai peut-être l’explosion et l’incendie de l’usine familiale. Tout le reste est si terne. Une famille sombre, sévère, où seul comptait le patrimoine. Mon père et mon oncle tenaient, très sérieusement, une tannerie industrielle et une conserverie de viande. Mes cousins et moi étions programmés pour prendre la succession. Je n’avais pas encore choisi : la puanteur des peaux ou le sel qui rongeait tout. Mes parents s’en désolaient. Seule, Rosalie, la vieille domestique qui nous avait élevés, mes sœurs et moi, semblait me comprendre. Je n’étais pas un mauvais élève. Il m’arrivait parfois même d’avoir d’excellentes notes, surtout quand je copiais sans vergogne sur mon voisin. Un petit à lunettes, le préféré des maîtres qui réussissait dans toutes les matières. Excepté en gymnastique, naturellement, là où moi j’excellais. Et quand il était absent ou qu’il refusait de me laisser copier, je n’hésitais pas à cacher dans ma trousse des petits papiers griffonnés censés palier le manque de travail. Les appréciations de mes maîtres étaient toujours pourrait mieux faire, manque d’ambition… Ce qui exaspérait mes parents. Il y eut pourtant un moment exceptionnel, en fin de cursus, au moment où un couple de jeunes enseignants remplaça les vieux instituteurs. Leurs méthodes nouvelles, notamment dans ce qu’on appelait les sciences naturelles, me plurent. Dès qu’il s’agissait d’expériences, de provoquer des réactions entre différents produits chauffés dans des tubes transparents, j’étais intéressé. Je crois même avoir obtenu des résultats qui étonnèrent les maîtres. Malheureusement, le peu d’intérêt de mes parents pour cette réussite partielle me découragea assez vite. Et je retombai dans l’ennui et le manque d’ambition.

Et puis, une nuit, une terrible explosion nous tira tous du lit. La grosse chaudière, le cœur de l’entreprise, dont la haute cheminée marquait notre position sociale, venait d’éclater sous la pression mal contrôlée d’une vapeur brûlante. La plupart des structures de l’usine étaient en bois. L’incendie prit très vite et les chaînes humaines improvisées transportant les seaux trop petits s’avérèrent nettement insuffisantes. L’intervention des pompiers avait pourtant été rapide et le ruisseau coulant dans la cour de l’usine fournissait l’eau nécessaire. Mais l’ambition de la famille, ses réalisations prétentieuses pour le lieu et l’époque, selon les voisins faussement compatissants, eurent raison de la pauvre pompe à bras. Au cours de cette nuit funeste, chacun put reconnaître toute ma vitalité, mon sens des décisions rapides, mon courage enfin qui laissa des marques sur ma peau et mes cheveux roussis. Le lendemain, devant les cendres fumantes, la famille était effondrée. Même mon père, cet homme inébranlable, semblait désemparé. Quand je lui pris la main lui annonçant que nous allions tour reconstruire, il me regarda étonné. Ce regard nouveau dura tout le temps de la reconstruction. J’y participais et, à la fin de l’école, on crut bien qu’enfin j’allais suivre les pas paternels. La déception en fut d’autant plus grande. A peine l’entreprise redémarrée, elle me redevint trop familière. J’avais alors un poste de magasinier. Et je m’ennuyais… Je m’ennuyais tellement que lorsqu’il fut question de guerre possible, je n’aspirais qu’à son éclatement.

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15 septembre 2013 7 15 /09 /septembre /2013 11:31

La mort…

Nous avons retrouvé des baraques toutes neuves. L’atelier d’étiquetage a repris. Je me suis essayé à écrire des saynètes en souvenir de notre camarade emporté par le typhus. L’épidémie est entièrement enrayée est venu nous annoncer le médecin du camp. Il nous a exhorté malgré tout à respecter un peu mieux l’hygiène. Chacun, au début, a suivi les consignes. Puis les mauvaises habitudes sont revenues. On n’avait plus peur des bactéries vaincues. Je notais alors une légère euphorie. Un retour à une vie normale pour ceux qui comme nous avaient oublié ce que cela voulait vraiment dire. Bien que je n’ai pas retrouvé le calme hébété d’avant l’épidémie, mon humeur est meilleure. Tout du moins jusqu’à hier.

Alors que je revenais d’une répétition pour la soirée théâtrale programmée dans une semaine, je me suis senti bizarre. Comme une euphorie inédite pour moi. Je plaisantais encore avec mon voisin le plus proche quand des frissons me parcoururent. Je me suis couché sans crainte et me suis endormi plus rapidement que d’habitude. Le lendemain j’eus beaucoup de mal à me lever. Des douleurs lancinantes dans tous les membres. Malgré mes tentatives, je ne pus me rendre à l’atelier et retournai me coucher. C’est là que le médecin vint me visiter. A sa vue je me sentis très calme. Il me parlait et je souriais sans pouvoir lui répondre. Sa mine plutôt sombre n’altérait pas ma bonne humeur. Je pris ma température que je n’eus même pas le temps de lire. Ensuite tout alla très vite.

On vint me chercher. Les brancardiers semblaient fébriles. C’est presqu’au pas de course qu’ils m’emmenèrent vers l’infirmerie. On m’installa dans la pièce réservée aux malades contagieux. Je m’endormis très vite. Ce matin, je n’ai pas de visite. Il me semble avoir plutôt bien dormi. J’ai la tête un peu lourde. Et quand je me suis assis pour écrire ces quelques lignes, les douleurs dans les jambes m’ont presque fait crier. Maintenant, le dos calé par deux oreillers, je me sens un peu mieux. (…)

Je venais d’écrire mieux quand le frisson fit tomber le carnet du lit. Le bruit de ma chute alerta l’infirmier de garde. Il entrouvrit la porte et, sans rentrer, appela le médecin. Celui-ci vint me faire une piqûre. Il avait sur la bouche un drôle de masque qui me rappelait quelque chose. La piqûre m’a soulagé. Et je peux reprendre mon écriture. Le masque donnait au médecin un visage ridicule. Je ne peux m’empêcher de sourire en tentant de le décrire. Comme un bec de canard qui alternativement se gonflait et se dégonflait au rythme de sa respiration. Où ai-je déjà vu ce masque ? Quand je lui ai posé la question tout à l’heure il a marmonné quelque chose.

Je ne vais pas pouvoir écrire encore bien longtemps. J’ai l’impression que la fièvre recommence et j’ai du mal à tenir mon crayon. La fièvre… L’envie de dormir de plus en plus forte… Je me demande si le médecin n’a pas dit typhus derrière son masque ridicule… Je lui demanderai demain. Il faut que je dorme…

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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 09:25

Saga Gorronnaise…

 

Prisonnier…

 

Tout se passa très vite. Les Allemands avaient rudement bombardé pendant deux jours. Au petit matin le silence se fit. Chacun était tendu, attentif, espérant l’attaque inévitable. Mais personne, sans doute n’imaginait la violence, la multitude qui s’abattirent sur nous. Je sentis une forte douleur au thorax puis perdis connaissance. Et je me réveillai dans une casemate en tout point semblable aux nôtres, allongé sur un brancard poisseux sur lequel le sang allemand avait longuement coulé. Un médecin, jeune, souriant, donnait des soins à des soldats aux uniformes disparates. J’étais donc prisonnier. Beaucoup parlaient de cette éventualité dans les tranchées. Certains l’espéraient secrètement. Tout plutôt que continuer la boucherie. D’autres étaient terrorisés par l’éventualité. On racontait des horreurs sur les médecins allemands qui torturaient les blessés avant de les achever. Moi, à cette époque-là, je n’avais plus d’avis. Je me laissais donc soigner sans appréhension, sans grand espoir non plus. J’eus droit à des infirmiers attentifs, à d’autres beaucoup moins. Mais l’insensibilité, voire la perversité de certains soignants étaient aussi bien partagées entre les deux camps.

            Quand on nous emmena dans le camp de prisonniers où je me trouve actuellement, je n’avais pratiquement plus de séquelles. La compétence en matière médicale pouvait être, elle aussi, bien partagée. Par contre, il semble bien que les baraquements dans lesquels on nous hébergeait étaient mieux entretenus, plus rationnels, que dans nos propres camp. Je passai de nombreux jours sans rien faire, allongé sur ma paillasse le plus clair de mon temps. Et puis, un jour, je m’installai à la petite table qui côtoyait un poêle souvent éteint. J’ai ouvert le carnet de moleskine en me demandant comment il avait pu me suivre. Et je me suis remis à écrire. Les pages sur lesquelles je peinais à décrire l’exécution des deux fuyards furent nombreuses et toutes déchirées. Et aujourd’hui, enfin, je suis allé jusqu’au bout et m’empresse de fermer le carnet de peur d’arracher une nouvelle fois le support de ces mots si durs à prononcer.

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18 août 2013 7 18 /08 /août /2013 11:32

Ignoble…

Après bien des hésitations, ils m’ont laissé commander le feu. N’étais-je pas, après tout, un héros ? Quoi de plus exemplaire ? Quand j’ai formulé ma demande j’ai vu dans les yeux des autres soldats désignés quelque chose qui me mit mal à l’aise. Je ne comprenais pas, sur l’instant, pourquoi ils me regardaient d’une telle façon. Maintenant je comprends… Les deux condamnés ont eu une attitude totalement différente. Le premier était complètement amorphe. Le regard perdu dans le vague, il marmonnait. Une prière, des injures au ciel ? Il se laissa attacher au poteau d’exécution sans difficulté. Je commandai le feu en fermant les yeux, ne regrettant pas mon initiative. J’étais moi aussi comme absent. Ce n’était pas moi qui parlais. Je ne voulais rien avoir à faire avec cette barbarie dont j’arrivais à me désolidariser. Mais il en fut tout autrement pour le second. Celui que je connaissais un peu. Il se débattit, supplia. J’étais de plus en plus mal à l’aise. Plus question de s’évader, de s’exonérer du châtiment. Je me sentais blêmir. Et j’étais pourtant loin de ce qui m’attendait. Le soldat m’interpella, cria mon nom… Je compris alors ce que mes camarades avaient ressenti au moment où je m’étais proposé pour commander le peloton d’exécution. Plus que celui qui, dans le groupe, appuyait sur la gâchette d’un fusil peut-être chargé à blanc, celui qui déclenchait le feu participait de la sentence. Je tremblais cherchant de l’aide autour de moi. Tout le monde attendait. La scène était horrible. J’avais été lâche dans la tranchée. Je l’avais été en acceptant les honneurs. Je devenais odieux en faisant durer le supplice du condamné. J’ai alors hurlé l’ordre et me suis enfui en pleurant.

Depuis ce jour funeste je n’ai plus écrit dans ce carnet et ce pendant plusieurs mois. Je ne parlais plus à personne. Et je crois bien que beaucoup en était soulagés. Je ne me suis plus jamais réfugié dans les alcôves que je ne creusais plus dans la terre du parapet. J’attaquais, je reculais, mécaniquement, au gré des lubies de nos chefs. J’ai embroché des ennemis sans trembler. Je me suis défendu dans des corps-à-corps sauvages, de nombreuses fois blessé mais toujours sans gravité. Je reçus d’autres citations qui me laissaient toutes indifférent. Et si je reprends l’écriture c’est qu’un événement particulier m’a fait sortir de cet état semi conscient dans lequel je ruminais ma honte, mon indignité.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 17:25

L’impensable…

C’est comme cela qu’on avait qualifié les quelques malheureux qui avaient cédé sous l’attaque allemande et s’étaient repliés plus loin dans la tranchée un instant envahie. Tous savaient ce que pouvait être le nettoyage à l’arme blanche d’un tronçon conquis. D’autant mieux qu’ils avaient pu y participer eux-mêmes et trouver quelque plaisir à mettre à mort en faisant souffrir l’ennemi. Tous pouvaient comprendre, même les chefs, le moment de faiblesse engendrant la panique. Mais précisément parce qu’ils avaient pu être directement confrontés à cette défaillance, ils se devaient de collectivement s’en défendre. Les fuyards devinrent des lâches, la honte de l’armée. Les chefs voulaient faire un exemple. Les autres étaient prêts à accabler leurs camarades par peur d’un jour les imiter. Il y eut un procès, rapide, inéquitable, sans défense pour deux fuyards. Pourquoi ceux-là plus que les autres, personne n’aurait pu le dire. Toujours est-il qu’ils ont été condamnés à mort hier soir. Et que l’exécution a lieu demain.

Quand on est venu m’annoncer la sentence j’ai été bouleversé. D’autant plus que je connaissais l’un d’eux qui n’avait rien d’un lâche et qui, jusque-là, avait plutôt été exemplaire. Mais quand on m’informa que je devais faire partie du peloton d’exécution, un honneur disait-on pour me récompenser de ma bravoure, je faillis tomber inanimé. On crut que mon traumatisme se réveillait. On me fit boire un peu d’alcool, on me félicita à nouveau. Et je ne pus rien dire. L’exécution a lieu demain. Il y a toujours une balle à blanc dans un des fusils. Ce sera peut-être le mien. Je tirerai sur le côté droit de la poitrine et éviterai le cœur. J’ai beau réécrire ces mots, je ne peux m’imaginer participer à cette injustice. C’est d’autant plus insupportable que le lâche, je le sais, c’est moi. Que faire ? Me dénoncer ? Je serais sans doute moi-même exécuté. Refuser de faire partie du peloton ? C’est pire qu’un aveu. Je n’arrive pas à dormir. Je bois plus que de raison, moi qui ai toujours craint l’alcool. Je vais demander de commander le feu. Au-moins n’aurais-je pas moi-même à appuyer sur la gâchette. Encore une lâcheté, sans doute, mais il me faut tout de même dormir…

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30 juin 2013 7 30 /06 /juin /2013 10:57

La permission…

 

Heureusement, il y eut la permission. Nous avions déjà connu les relèves. Mais nous ne nous éloignions guère du front. A part quelques privilégiés qui pouvaient bénéficier de véhicules à moteur. Ce n’était pas mon cas. Quand je pus enfin monter dans le train, j’eus le sentiment d’un retour aux sources, comme un paradis perdu qui devenait à nouveau accessible. Pourtant, le wagon dans lequel s’entassaient des soldats épuisés et sombres, n’avait rien de très gai. Finis les rodomontades, les plaisanteries douteuses, l’hilarité sur-jouée du départ à la guerre. Tout était empreint de gravité, même les timides projets que se promettaient de réaliser les permissionnaires.

            J’ai dormi comme je ne l’avais plus fait depuis bien longtemps. Les banquettes étaient dures, la place réduite, ma tête heurtait parfois durement la vitre sale. Mais il me suffisait d’ouvrir les yeux, de voir des paysages normaux, sans ravage des arbres, sans terre remuée, pour me rendormir paisiblement. C’est ainsi que j’arrivai à la gare d’Ambrières. Le soir tombait. Je fus surpris de voir le nombre de soldats descendant du train. Les quelques Gorronnais, je les connaissais un peu. Mais les jeunes des villages du canton m’étaient le plus souvent étrangers. Une voiture nous attendait. Le père Bayet, dont les sept fils étaient eux-mêmes sur le front, assurait le transport jusqu’à Gorron. Il y eut une bousculade. Chacun voulait sa place dans la voiture pour ne pas passer une nuit si précieuse à la gare. Je n’essayai même pas de monter. A l’évidence nous étions trop nombreux même si l’entassement dans la voiture pouvait être surprenant. Nous restions quelques-uns, résignés, nos sacs aux pieds. Le père Bayet vint nous voir et, nous frappant sur l’épaule, nous assura qu’il ferait un second voyage, l’obscurité ne lui faisant pas peur. Il pensait sans doute alors à ses propres fils et ne voulait en aucun cas réduire la permission tant attendue.

            Tous désiraient savoir et je ne pouvais rien dire. Il y avait la fatigue mais aussi la gêne. Ce que j’avais déjà vécu là-bas me paraissait ici inimaginable. Comment leur faire comprendre l’horreur, les moments dégradants, la peur honteuse. On me laissa tranquille. Ma chambre était prête. J’eus du mal à m’endormir. Le sommeil dans le train, sans doute. Mais aussi, paradoxalement, la douceur de l’oreiller, la chaleur de la couette. Je crus alors avoir définitivement changé. Corrompu comme une plante soumise à trop ou trop peu d’eau. Heureusement le sommeil vint en fin de nuit. Et je retrouvai au matin des sensations d’enfance. Les premières heures des vacances quand ma mère ouvrait les volets et la fenêtre, me laissant tout mon temps pour sortir de la douceur du sommeil. Le ciel était d’un bleu plutôt pâle, une fraîcheur matinale envahissait la chambre et le soleil, invisible, imposait malgré tout sa présence. J’étendis les jambes bien à plat sur le drap frais et remontai la couette jusqu’au menton. Au loin on cassait du bois. Le bruit régulier de la hache mécanique interrompu par instants par celui de la scie circulaire mordant le bois. Il m’avait suffit d’une nuit pour retourner dans la vie normale, moi qui croyais l’avoir à jamais quittée. J’en étais ravi. Mais déjà un sourd regret s’insinuait que j’éloignai avec une énergie douteuse.

 

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 16:00

Remords et culpabilité…

 

Mes larmes avaient cessé. Je retirai, maintenant un peu mélancolique, le fer du ventre inerte de l’Allemand. Je me baissai m’emparant de sa plaque d’identification. Encore un réflexe, sans intention. Je faillis la jeter quand un de mes compagnons vint me frapper l’épaule, un large sourire aux lèvres. Il tenait dans sa main plusieurs plaques et les brandissait comme un joyeux trophée. J’entendais autour de moi des cris de joie sauvage. Beaucoup riaient, certains s’acharnaient même sur des corps manifestement sans vie. Je dus participer au rude plaisir des mâles vainqueurs. Toute mélancolie, tout remords auraient pu être pris comme une véritable trahison. Ce n’était pas tous les jours que nos charges inutiles  permettaient  de conquérir une tranchée ennemie. Chacun savait que la grande victoire n’était que dérisoire. Que demain, peut-être, la tranchée serait reprise. Mais tout le monde jouait sa partition. Notre lieutenant, s’il n’était pas mort, aurait sans doute la croix de guerre. Peut-être que quelques modestes soldats obtiendront quelques distinctions. Le colonel visitera les troupes, fier du courage de l’armée française. Et entre temps l’alcool coulera à flots.

En réalité, au moment où j’écris ces lignes, le colonel n’est pas encore passé. L’alcool a été restreint. Le lieutenant est toujours plus irascible. La tranchée a été reprise. Et j’essaie d’exprimer ma honte. Ainsi je suis tombé aussi bas que ces brutes qui parfois me font horreur. J’ai beau me persuader qu’il s’agissait de légitime défense. Qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Je ne peux oublier ce moment de joie douteuse. L’instant avait été très court mais il avait été. Autant je pouvais excuser ma participation un peu lâche à la liesse de la victoire. Elle était consciente et pouvait être justifiée. Je n’avais pas l’étoffe d’un héros et n’en avais pas le goût. Autant cette émotion tirée du plus profond de moi, échappée au minimum de conscience qui donne à l’homme un peu de dignité, m’était insupportable. Il allait falloir, désormais, en plus de la dureté de cette guerre absurde, porter cette culpabilité qui prolongera sans doute encore les douleurs jusqu’alors rencontrées.

 

 

 

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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 10:55

Un misérable exploit…

 

C’est pourtant peu de temps après que je gravis encore un échelon sur l’échelle du sordide. La pluie avait cessé. L’accalmie guerrière aussi. Il était en effet difficile d’imaginer une sortie. Les soldats alourdis par la boue tentant d’escalader un parapet mouvant ? La scène paraissait grotesque même pour nos chefs les plus belliqueux. Nous avions donc repris nos charges héroïques au cours desquelles mon souci premier était d’éviter les expositions inutiles. L’affaire était délicate car il ne fallait pas que ma pauvre protection soit prise pour une lâcheté condamnable. Il était en effet parfois plus dangereux de se protéger que de s’exposer. On pouvait échapper aux balles de l’ennemi. A celle du peloton d’exécution, c’était tout simplement impossible.

Ce jour-là donc, emporté par une charge pour une fois victorieuse, je me trouvai au contact direct avec l’Allemand. La plupart avait fui, laissant dans la tranchée sacrifiée quelques pauvres hères. Les uns trouvant là leur moment de gloire, se défendant rageusement, espérant une mort digne. Les autres, levant piteusement les mains, songeant sans doute à leur femme et leurs jeunes enfants. Je glissai sur le dos, la baïonnette au fusil, dans la tranchée ennemie et tombai sur un homme de mon âge, serrant son fusil, hésitant un instant sur l’attitude à prendre. S’il avait eu en face de lui un Français déchaîné hurlant sa haine, il aurait sans nul doute tenté d’épauler et tirer. Mais mon arrivée insolite, cette glissade dorsale, mon allure peu martiale, ont dû l’intriguer un instant. On dit que cela dure une fraction de seconde. Je ne pourrais le confirmer. J’eus le temps d’imaginer deux scénarios possibles : la levée des mains ou la charge avec la baïonnette. Le second l’emporta avant même sans doute que le soldat eût fait son choix.

Le réflexe prit le pas sur la conscience de l’acte. Ces manœuvres ridicules et répétitives qui ponctuèrent notre formation au combat pouvaient donc servir à quelque chose. La baïonnette s’enfonça dans le ventre bien plus mou que le mannequin de son qui nous servait alors. L’Allemand eut l’air surpris. Je le fus aussi. C’était donc si facile. Au moment où j’écris ces lignes, je ressens encore cette jubilation obscène. Le lâche soulagement, sans doute, d’avoir sauvé ma vie. Mais plus encore, peut-être, le sentiment de puissance de l’avoir ôtée à l’autre. L’euphorie malsaine ne dura guère. La surprise dans les yeux du soldat laissa la place à l’indicible douleur. Et si mécaniquement je remontais la baïonnette comme on me l’avait appris, déchirant, fouillant, pour être bien sûr de commettre l’irréparable, l’horreur tout à coup m’envahit. Et c’est tremblant, hurlant, les yeux pleins de larmes que je terminai l’affaire selon les règles transmises. L’ennemi ne bougeait plus. J’avais rempli ma tâche.

 

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