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15 juin 2014 7 15 /06 /juin /2014 12:40

Le danger se précise…

Est-ce la perspective d’aller retrouver les auteurs des documents empilés sur ma table d’écriture ? Cet accord avec moi-même que j’ai évoqué hier soir ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je me suis endormi paisiblement. La douleur au coude, plutôt légère, semble avoir trouvé sa place. Après tout, j’ai bien vécu avec mon mauvais pied toute ma vie. Et cette gêne souvent douloureuse m’est devenue familière. Il en sera peut-être de même avec celle du coude. J’aurai seulement moins de temps pour l’apprivoiser. La nuit tint toutes ses promesses. Une belle et jeune femme est venue me visiter. Toute sa peau était comme celle des mains que j’aime. Les pores resserrés, la douceur élastique couvrant une chair pleine. Tout le contraire de celle que mes mains tâchées de fleurs de cimetière arborent. Cette vieille peau ressemble plus à un faisceau d’alvéoles. Un peu comme celles d’un rayon de ruche. En moins régulier. Bref, je crois n’avoir rien ignoré de la surface entière du corps ambré qui se mouvait sur le mien. Un bien-être ignoré, ou en tous les cas bien oublié. Quand je repense au fiasco un peu ridicule d’un rêve déjà relaté ici, j’en suis encore ébloui. Bien que totalement passif, une vigueur nouvelle a répondu à l’avancée chaude et humide. Cela fut très long et s’est éteint sereinement, sans cette explosion qui, à mon âge aurait été un peu gênante. Je ne dirais pas que je me suis réveillé oublieux de mon corps douloureux. Mais la volonté et la joie étaient là, à peine levé.

On m’attendait avec une certaine inquiétude à la mairie. Pour les rassurer j’ai, avec je l’admets une certaine désinvolture, lancé un « quoi de neuf ? » légèrement déplacé. Il y avait effectivement du neuf, et du lourd. Le pacte germano-soviétique. Alors que les pourparlers entre l’Angleterre, la France et l’URSS semblaient pouvoir contenir l’attitude belliqueuse de l’Allemagne et l’Italie alliées dans le Pacte d’acier, la neutralité des Soviétiques était un mauvais signe donné aux dictateurs. Le premier adjoint lui-même exprimait quelques craintes. Tant qu’il ne s’agissait que de petits pays lointains, de peuples mal définis, les annexions pouvaient être pardonnées. Mais s’il était désormais question de la sécurité de la France, c’était une toute autre affaire. Il accusa encore les démocraties de vouloir s’accommoder d’une guerre pouvant régler leurs problèmes économiques mais faire prendre des risques au territoire national devenait insupportable. Paradoxalement, c’est le secrétaire de mairie qui tenta de le rassurer. La ligne Maginot, tout de même… Oui, mais à condition qu’à l’est, les Soviétiques assurent la pression. Le premier adjoint se doutait un peu de leur duplicité. Ce doute recréa les deux camps. On oublia les dangers d’une invasion pour s’affronter avec toujours autant d’à peu près et de mauvaise foi. Je les écoutais, amusé tout en réfléchissant à la légitime défense. Le recours à la violence pour préserver ma vie et celle de mes proches, pas de difficulté à l’envisager. Et celle de moins proches, mais tout aussi faibles, agressés sous mes yeux ? Sans doute aussi. Mais je me refusais encore à envisager un recours à la force de manière préventive. La France ira-t-elle jusqu’à la déclaration de guerre ?

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 11:15

A chacun ses certitudes…

J’ai le sentiment que ma position pacifiste va être de plus en plus difficile à tenir si l’évolution dangereuse se confirme. En attendant, je n’arrive pas encore à me faire un avis solide. Je ne peux m’empêcher de penser que la guerre est parfois une solution radicale aux problèmes économiques aigus que connaît l’Europe actuellement. De là à renvoyer dos à dos les dictatures et les démocraties, il y a un pas que je ne peux franchir. Il doit être finalement confortable de s’abriter derrière des certitudes. A condition, bien sûr, qu’elles n’entraînent pas des discordances internes sources d’angoisse. Ce qui a toujours été le cas chez moi.

Je suis passé l’après-midi chez le médecin. Une tendinite. Je ne savais pas que cela pouvait faire si mal. Relativement bénin, bien que long et gênant. Une question tout de même me trotte dans la tête : un geste répété sollicitant trop le tendon ou une dégénérescence incurable ? La seconde option me perturbe un temps. Mais, heureusement, j’oublie la question en m’installant dans mon fauteuil. Dans le volume de l’Abbé Angot, une feuille manuscrite donne des précisions sur la fin dramatique du premier maire de Gorron. Le curé Bonnet a été retrouvé noyé dans la Colmont, le 30 décembre 1790. La version donnée par l’Abbé Angot d’un élu hostile aux idées nouvelles et persécuté par les autorités révolutionnaires est nuancée par le témoin auteur du feuillet. Si le curé a bien été arrêté, interné à Laval, c’était plus pour des désaccords avec le district d’Ernée que pour des idées contre-révolutionnaires. Mais le dérangement mental du premier maire et son suicide sont confirmés. Plus que l’anecdote elle-même, ce sont les personnes ayant relevé le corps, mentionnées dans le feuillet, qui m’intéressent. Il me semble bien avoir vu passer dans les différents documents ramenés des archives la plupart de ces noms. La perspective de connaître l’histoire des ces familles me procure de la joie. L’idée de me plonger dans les travaux du secrétaire de mairie à la belle écriture, pour y retrouver ces personnages ou leurs descendants, ouvre des perspectives que dès demain j’essaierai de concrétiser. Et je sommeille un peu avant de mettre noir sur blanc les moments forts de cette journée qui se termine sous de bons auspices.

Je relis les quelques réflexions qui ont clos la relation de la journée d’hier. Je m’interrogeais alors sur l’origine de ces réflexions. La discussion de ce matin entre le secrétaire de mairie et le premier adjoint apporte un début de réponse à cette interrogation. Leur fonctionnement, finalement, malgré leur divergence de point de vue, est assez proche. Beaucoup plus proche, en tous les cas, qu’il ne peut l’être du mien. C’est sans doute pourquoi il me dérange un peu. Nous n’avons pas parlé ensemble des recherches que j’envisage sur l’histoire de Gorron. Il ne fait guère de doute que ce genre d’intérêt doit leur être étranger. Pourquoi donc pour moi ont-elles tant d’importance ? Une question d’âge peut-être ? Ou, tout simplement, de nature. Et je souhaite à tous les deux d’être le plus possible en accord avec la leur…

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1 juin 2014 7 01 /06 /juin /2014 15:32

Douleurs…

C’était en pleine nuit. Je ne me souviens plus de l’heure. Une douleur, cette fois encore inhabituelle. Le coude droit. Il arrive parfois qu’une mauvaise position pendant le sommeil engendre ce genre de douleur. C’est sans doute pourquoi, après m’être massé le bras, je me suis rendormi sans trop de difficulté. Au réveil la douleur était encore là. Il me semblait pourtant bien avoir pris mes précautions pour préserver l’articulation douloureuse. C’est au petit déjeuner que j’ai compris qu’il y avait autre chose qu’une position inadaptée pendant le sommeil. J’ai failli lâcher la bouteille de lait. Le même endroit mais plus précis. Quelque chose d’aigu. Heureusement très court. J’étais dans la pièce aux archives quand cela est arrivé. Je savais que l’ouvrage monumental de l’Abbé Angot était rangé sur la plus haute étagère. Plusieurs volumes. J’allais attraper celui concernant Gorron quand une douleur violente me paralysa le bras. Je reçus le livre sur la tête et me retrouvai par terre. Le choc sur la tête, la douleur au coude ? Je ne sais quelle fut la cause première. Toujours est-il que j’ai vraisemblablement perdu connaissance. Ils arrivèrent à trois, alarmés par le bruit. Le secrétaire de mairie, le premier adjoint et la secrétaire de l’accueil. Leur inquiétude n’était manifestement pas feinte. Il fut très vite question de faire venir un des médecins. Celui qui habitait face à la mairie. Je les en dissuadais promettant d’aller rapidement consulter. Et pour les rassurer, j’abordai moi-même la discussion désormais journalière sur les événements inquiétants en politique étrangère.

En Angleterre, la chambre des communes, rétablit la conscription. En France, on porte la durée du travail à quarante cinq heures et on établit un impôt extraordinaire sur les bénéfices industriels. Le premier adjoint en conclut que les deux pays préparent la guerre. Avec le secrétaire de mairie, l’incompréhension est totale. Je suis surpris par la virulence et les arguments parfois de mauvaise foi qui sont échangés. Je connais bien les deux hommes. Ils sont intelligents, instruits et le plus souvent courtois. Qu’est-ce qui peut bien les pousser à présenter comme vérités ce qui ne peut être, à l’évidence, qu’opinions ou convictions ? J’essaie de les amener à composer, à reconnaître qu’il est impossible de trancher sur les buts poursuivis par les deux camps. On a totalement oublié mon malaise et la sollicitude montrée peu de temps auparavant. On me regarde avec suspicion. Dans ce genre de confrontation, il faut choisir son camp. Un avis mesuré est vite considéré comme une trahison par les tenants des deux points de vue.

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25 mai 2014 7 25 /05 /mai /2014 12:12

Une condition humaine bien fragile…

Je fus un peu surpris et aussi plutôt déçu quand je m’aperçus qu’il ne restait plus qu’une série de carnets dans la pièce aux archives. Gaspard Pouilleul. Lui aussi parlait beaucoup de la dernière guerre mondiale. Quand je posai les carnets près des piles d’écrits qui occupaient une bonne partie de mon bureau, je fus malgré tout rassuré. Il y avait assurément là de quoi m’occuper pendant pas mal de temps. Et quand je me suis installé dans mon fauteuil, j’ai repris avec plaisir le fil de l’histoire de Gorron qui commençait à prendre forme. Tout était donc en place pour la Grande Révolution. Un système social à bout de souffle. Une situation économique très fragile. Les privilèges pour les nobles devenus insupportables. Et l’Eglise elle-même qui pouvait être contestée. Je connaissais depuis longtemps les textes précurseurs des grands bouleversements. Le questionnaire envoyé par l’Assemblée Provinciale du Maine et ces fameux Cahiers de Doléances rédigés par chaque commune. Aucun maire qui se respecte ne pouvait ignorer l’état de sa commune à la fin du 18ème siècle. Et même si on savait que les rédacteurs en avaient rajouté dans le misérabilisme, au besoin en s’inspirant d’une rédaction modèle qui circulait entre les communes proches, la vie à l’époque devait être bien difficile. Les signataires et les rédacteurs des textes revendicatifs insistaient beaucoup sur le poids des impôts. Il est vrai que les familles fortunées qui faisaient vivre la paroisse étaient lourdement mises à contribution. Mais que dire de tous ces indigents présentés le plus souvent comme des charges par les contribuables ? La limite entre la vie très difficile et la misère avec ses problèmes vitaux pouvait être à tout moment franchie. Une mauvaise saison, le prix des grains qui monte… Et l’on n’était pas loin de la famine. C’est alors qu’éclataient les révoltes dites frumentaires. La violence pouvait être incontrôlable. Nous retrouverons ces explosions populaires tout au long de la période révolutionnaire. Tantôt soutenant l’évolution en cours, tantôt s’y opposant, pour des raisons parfois peu claires.

L’Homme a besoin d’expliquer, de rationaliser, de chercher des causes claires aux effets qu’il constate. Bien souvent, il le fait après coup. Certains s’accrochent à ces certitudes persuadés de détenir la vérité. D’autres savent bien qu’il ne peut être question que de convictions, de croyances, sans plus… Quel qu’Il soit, quoi qu’Il fasse, son seul vrai but est de lutter contre l’angoisse. Angoisse de vivre, de mourir ? Il ne me viendrait pas à l’idée de juger des démarches de chacun. Je souhaite simplement qu’elles puissent être efficaces. Une chose cependant m’est insupportable : vouloir imposer à l’autre ce qui ne peut être qu’un bricolage personnel. Les donneurs de leçons qui exhortent leurs proches à user de la volonté et de la raison m’insupportent. Cela ne m’empêche nullement de cultiver chez moi ces deux mécanismes. Connaître leurs limites n’enlève en rien à la joie tirée de leur exercice. Je ne sais pas pourquoi ces réflexions arrivent, ce soir. Sans doute parce que je me sens bien avec tous ceux qui ont voulu laisser quelques traces. Ces auteurs sans prétention qui ont parlé de leur ville et que j’ai hâte de retrouver dès demain, maintenant que le cadre est posé pour suivre leurs aventures…

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18 mai 2014 7 18 /05 /mai /2014 11:50

Douleurs nouvelles…

J’ai dû me réveiller deux fois cette nuit. Heureusement, je me suis rendormi très vite. A tel point que je me demande si ce que j’ai ressenti était bien la réalité. Une douleur à l’œil, chaque fois le même. Et je ne saurais aujourd’hui dire lequel. Pas une douleur vive. Mais le sentiment que je ne pouvais plus ouvrir mes paupières. Et surtout, que mon œil était figé dans mon orbite. Quand j’ai essayé, avec mon doigt, d’aider à l’ouverture, la douleur s’est amplifiée, lancinante, et l’œil est resté fermé. Je ne pensais plus trop à ces problèmes quand j’ai accepté, cet après-midi, une partie d’échecs avec le secrétaire de mairie. Le début a été catastrophique. Des pièces données. Avec l’impression de confondre les diagonales. J’ai alors repensé aux incidents de la nuit. L’angoisse déclenchée m’a mis très mal à l’aise. J’ai dû faire un effort important pour rester dans la partie. Mon adversaire avait l’air surpris. Il me demanda, c’était la deuxième fois, si tout allait bien. Et, cette fois encore, je n’avais rien évoqué de mes malaises devant lui. Cette sollicitude, plutôt bienveillante, inexplicablement, m’a mis en rage. Le plaisir habituel du jeu s’est transformé en un affrontement sans répit. Il me fallait gagner, à tout prix. Je pensais me soulager en renversant la tendance. Je l’emportai au final mais sans joie et avec un sentiment de culpabilité inhabituel.

Je remarque que le secrétaire de mairie me propose de jouer aux échecs quand la discussion avec le premier adjoint devient un peu vive. Il faut dire qu’entre eux les points de vue sont souvent divergents. Et le secrétaire préfère rester plus tard l’après-midi en s’octroyant un peu de répit et rompre ainsi les échanges dont la tournure pouvait devenir délicate. Il faut dire que, chaque jour, les nouvelles sont susceptibles d’entraîner des discussions tendues. Cette fois, les forces italiennes, sans déclaration de guerre, ont envahi l’Albanie. Il est plutôt difficile de justifier une telle violation du droit international. L’événement conforte les positions du secrétaire de mairie : si on n’arrête pas immédiatement les régimes fascistes, aucun pays ne sera plus en sécurité. Le premier adjoint explique que les moyens sont sans doute un peu brutaux mais qu’on pouvait en comprendre les raisons. Quand l’Italie et l’Allemagne auront assuré ce qu’elles présentent comme leur espace vital tout se stabilisera et il n’y aura plus de problème. Pourquoi alors la France et l’Angleterre se sentent-elles obligées de garantir l’intégrité des pays limitrophes des zones envahies ? Un jeu, selon le premier adjoint. Chacun saura jusqu’où aller top loin. Je pense alors à mon embarras. Comment tiendrait mon pacifisme si les dictateurs ne savaient justement pas s’arrêter à temps ?

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11 mai 2014 7 11 /05 /mai /2014 12:02

Des familles influentes…

L’après-midi fut moins paisible que je ne l’avais pensé. J’avais trop fréquemment en tête les dérapages de la discussion du matin. Je réussis tout de même à oublier le gros bon sens de mon premier adjoint quand je me suis installé dans mon fauteuil. Il me fallut faire un petit effort pour renouer avec l’histoire de notre ville. Des familles avaient donc progressivement pris de l’importance en gérant les affaires des nobles, bien souvent seigneurs de plusieurs territoires et absents de la ville. J’imaginais les efforts des étudiants en droit, soutenus par leur famille ayant réussi dans le commerce, pour accéder aux fonctions de notaires, procureurs, ou autre juges. Eloignés des leurs, dans des pensionnats religieux très stricts, ils subissaient la loi de prêtres aux mœurs parfois douteux. Mais quand ils revenaient chez eux, ils arrivaient bardés de diplômes et leur réputation les avaient précédés. Ils faisaient leurs premières armes dans les études de leur père ou de leur oncle avant de remplacer le futur notaire honoraire. Et alors que ce dernier s’orientait vers la Justice de Paix, le jeune cherchait l’épouse convenable. La fille d’un riche commerçant, de toiles par exemple, de préférence dans la famille élargie, la sœur d’un beau-frère ou, pourquoi pas, une cousine germaine. C’est ainsi que se constituèrent des fortunes considérables destinées à l’achat de métairies et de terres aux anciens nobles désargentés. Nous retrouverons les représentants de ces familles de propriétaires sur les listes des Gorronnais les plus imposés de la commune.

Alors que je viens d’ajouter une nouvelle page à mon journal, je feuillette distraitement le travail du secrétaire de mairie à la belle écriture. Une famille semble avoir pris une place très importante dans ces lignées dont j’ai parlé plus haut. Béan, patronyme auquel on a rajouté, sans doute en souvenir des nobles diminués par la Révolution, des noms de lieux. Un document impressionnant tente de recenser les membres des branches de cette famille ayant joué un rôle dans la vie de la commune. J’imagine le temps passé, les difficultés pour regrouper les différentes données. Qu’est-ce donc qui poussait le secrétaire à s’investir dans ce travail fastidieux ? Les documents qu’il a laissés auraient pu n’intéresser personne et tomber en poussière dans la pièce aux archives assez peu fréquentée. Il me revient alors à l’esprit un texte d’un philosophe qui, pour une fois, m’avait paru très clair. Il y parlait de joie, de ravissement au simple fait de mettre un peu de clarté dans un ensemble obscur. Et cela même si cette clarté ne profitait qu’à soi. J’avais déjà trouvé la formule plutôt séduisante. Je crois qu’elle explique parfaitement l’œuvre du secrétaire.

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4 mai 2014 7 04 /05 /mai /2014 11:30

Rêves…

Alors que la température extérieure n’était pas particulièrement basse au moment du coucher, mes pieds et mes mains étaient glacés. On ne bassine pas les lits à cette période de l’année. Je l’ai regretté. Heureusement, la sensation désagréable, le sentiment que mon corps me quittait, n’ont pas duré très longtemps. Progressivement, le froid s’est transformé en une douceur propice à la rêverie, cette attention flottante favorable à l’arrivée du sommeil. Je descendais le Boulevard Faverie. A mon bras, la femme d’un conseiller municipal. Pas vraiment belle mais très jolie. Habillée avec soins, des vêtements recherchés, adaptés à sa petite taille et à un embonpoint naissant. Et surtout, toujours, un maquillage et un parfum discrets. Elle sentait bon. Rien de plus agréable que d’entrer dans cette bulle parfumée. Or, cette femme était malade. C’est sans doute pourquoi personne ne pensait à mal en me voyant la soutenir en lui prenant le bras. Et, hier soir, dans la chaleur revenue, la femme me prit la main et sa tête doucement se pencha sur mon épaule. Je ressens le bien être perçu en écrivant ces lignes. Et je comprends le rêve qui a suivi, cette fois dans un sommeil qui m’a paru profond. Il commença comme un rêve érotique. La femme se déshabillait près de mon lit et je regardais sa peau bronzée et élastique espérant retrouver au plus intime d’elle-même cette douceur parfumée vers laquelle j’étais presque douloureusement tendu. Le contact de nos deux corps ne tint pas ses promesses. Et l’aventure se termina par un fiasco presque drôle. Bizarrement, au réveil, je me suis senti plutôt bien. Comme si l’acceptation sereine de l’abandon de plaisirs anciens me réjouissait.

Le moral et le physique étaient donc plutôt bons quand je me suis rendu à la mairie ce matin. Je suis monté directement à la salle des archives. De nouveaux carnets de moleskine noircis par Pierre Tendron. On y parlait aussi de la Grande Guerre. Mon premier adjoint voulut savoir ce que je pouvais faire de ces vieilleries, comme il disait. Je restai assez vague. Je n’avais nullement l’intention de lui parler de mon projet concernant l’histoire de la commune. Un genre de chose qui lui paraissait totalement inutile. Avec le secrétaire, j’aurais sans doute eu un peu plus d’écoute. Mais, pour l’instant, il ne s’occupait que des événements qui se précipitaient. Au congrès de Versailles, Albert Lebrun est réélu Président de la République. Même si le rôle du Président est limité, la personnalité de Lebrun laisse le secrétaire perplexe. Et, pour une fois, le premier adjoint semble d’accord avec lui. D’après lui, il faudrait un homme à poigne à la tête de l’Etat. Le parallèle avec Hitler et Mussolini déclenche une vive discussion. Cette fois, je n’ai aucun problème pour prendre partie. Comment peut-on aspirer à un gouvernement autoritaire dans lequel les libertés semblent chaque jour bafouées ? Avec, en plus, la recherche de boucs émissaires porteurs de toutes les difficultés du pays. Le premier adjoint explique qu’on ne peut faire d’omelettes sans casser des œufs. Il aime ces formules toute faites, apparemment de bon sens, mais renfermant souvent des a priori inacceptables. Je sentis que les juifs allaient rapidement être sur la sellette. L’antisémitisme latent est présent dans notre commune comme dans beaucoup d’autres. Un réflexe malheureusement classique et répandu : une généralisation abusive ils sont tous quand même un peu comme ça. Et de là à les rendre responsables de nos malheurs, il n’y a qu’un pas. J’arrête brutalement la discussion et demande aux secrétaires de me suivre dans mon bureau.

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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 11:52

S’inscrire dans une lignée…

Charles Gabriel. Un rejeton, sans doute, de la famille déjà aperçue dans les premiers écrits ramenés de la Mairie. En feuilletant les carnets de moleskine, j’ai vu qu’il était principalement question de la guerre 1914/1918. Je suppose que cet événement dramatique occupera une grande place dans l’histoire de la commune. Et je sais que j’y serai d’autant plus sensible qu’indirectement j’en ai été cruellement marqué. Mais, pour l’instant, ma rêverie éveillée me ramène à la construction de l’église. L’organisation de la petite société gorronnaise est en place pour des siècles. Même si les conflits nombreux pouvaient venir bouleverser les lentes réalisations du groupe d’humains qui se développait toujours, même si le territoire pouvait changer de propriétaires et de maîtres, les deux piliers de la société d’alors étaient là : la religion et la noblesse. Souvent alliés, parfois concurrents, ils maintenaient par la force ou l’exploitation de la crédulité, une organisation à peu près stable. Et cette stabilité reposait sur des lignées de roturiers qui, au départ souvent grâce au talent des fondateurs, surent devenir indispensables aux maîtres qui leur déléguaient les tâches ingrates : la fiscalité, la justice, l’ordre, la garantie des transactions diverses, mais aussi le contrôle des esprits… J’imagine la naissance de ces lignées que nous retrouverons à l’aube de la Révolution, signataires des actes fondamentaux de la société nouvelle qui allait naître. Et j’ai hâte de voir revivre ces familles qui, au même titre que la noblesse, ont pris une part fondamentale dans la construction de la société gorronnaise.

Je n’ai jamais vraiment cherché à retrouver le rôle de ma propre lignée dans la lente construction de notre communauté. Je me suis jusqu’alors contenté d’apprécier le concours de circonstances, et pourquoi pas aussi un peu de talent, qui m’ont permis de jouer mon rôle dans cette construction qui poursuivra sa route quand je ne serai plus. J’ai jusqu’à présent plutôt bien réussi à mettre à distance cette perspective. Comme s’il m’était impensable d’imaginer un monde continuant à vivre sans moi. L’action a été un outil assez efficace mais son revers, l’angoisse, faisait peut-être silencieusement son œuvre. Les malaises relatés dans ce journal n’en sont-ils pas le fruit ? Le jour serait venu de faire enfin le point ? De réunir tant d’éléments épars pour comprendre et accepter ma juste place ? Quoi qu’il en soit des raisons profondes qui me poussent à écrire chaque jour, le plaisir que cela me procure s’affirme nettement. Et je sens que ce rendez-vous quotidien, dans la sérénité de mon bureau, est arrivé à son heure dans ma modeste histoire.

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 11:21

Malaises…

A nouveau une chaleur inhabituelle qui n’avait rien à voir avec la température de la nuit. Une légère oppression, comme celle ressentie lors de l’annonce d’un orage. Mais le ciel était clair et il ne fut pas question de tonnerre ou d’éclairs. La fatigue me tint jusqu’au milieu de l’après-midi. Les quelques tâches urgentes à la mairie ont été expédiées d’une manière qui ne me plaît généralement guère. Des automatismes sans goût et des erreurs heureusement rattrapées par les secrétaires. Ma tête était lourde. Je n’avais goût à rien. Et cette volonté défaillante, je crois bien, aggravait le malaise. Ce n’est pas la première fois que je constate cette causalité réciproque entre le physique et le mental. Et je ne sais toujours pas quelle en est l’origine. Il m’est arrivé parfois d’échanger sur le mystère de l’œuf et la poule. Qui vient donc en premier ? Souvent la réflexion tourne un peu en rond et débouche sur l’existence de Dieu. Tout du moins avec ceux qui acceptent le jeu. Ils sont finalement assez rares. Le secrétaire de mairie en fait partie. Croyant contre agnostique mais avec un respect réciproque. Aujourd’hui, il n’était pas question d’une telle conversation. Le secrétaire s’en est bien rendu compte. Il m’a alors proposé une partie d’échecs. J’aurais dû refuser. Mais, après-tout, elle pouvait être un remède. Une défaite qui, au contraire, accentua le malaise. Même dans le jeu, la volonté s’est encore montrée défaillante. Des enchaînements suspendus, un désir de gagner trop fort qui troubla sérieusement tout le plaisir habituel.

Avant de me quitter, le secrétaire a évoqué le refus du gouvernement polonais d’engager des négociations sur Dantzig. Encore une revendication d’Hitler qui décidément semble bien poursuivre un plan machiavélique. L’Angleterre et la France soutiennent la Pologne. Ce qui ravit le secrétaire. Je suis troublé. Bien que mon état général ne s’y prête guère, j’engage une conversation qui habituellement aurait pu me plaire. Le secrétaire pense qu’il faut à tout prix arrêter Hitler, au besoin par la force. J’objecte mollement qu’une guerre avec l’Allemagne se traduirait par des pertes humaines considérables. Et même si les Polonais n’accepteront jamais l’entrée des troupes allemandes sur leur territoire, les morts seraient moins nombreux s’ils résistaient seuls. En prononçant ces mots je sens bien la faiblesse de mon argumentation. On pourrait même croire que les vies polonaises ont pour moi moins d’importance que les françaises. Heureusement, le secrétaire n’est pas de ceux qui procèdent par amalgames, cherchent la polémique dans tout échange et, pour tout dire, sont de très mauvaise foi. Il sait que mon pacifisme est une position de principe et qu’il n’y a ni lâcheté ni ignominie dans mes propos. Il voit bien, de plus, que je ne suis pas très alerte au niveau réflexion aujourd’hui. Et, avec tact, il n’insiste pas trop. Il me quitte en me souhaitant un bon rétablissement. Je ne pense pas lui avoir fait part de mes petits malaises. Sont-ils donc si évidents. Je laisse de côté le doute qui s’est fait jour lors de l’échange. Eviter la guerre peut-il nous mener à accepter l’injustice, la loi du plus fort ? Quel est donc le principe supérieur moralement ? Faudrait-il comptabiliser le nombre de morts avant de faire son choix. Trop difficile, trop fatiguant… Je me pose dans mon fauteuil et ouvre l’ouvrage que je suis allé péniblement chercher ce matin dans la pièce aux archives.

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 11:18

L’église…

La montée dans la pièce aux archives m’a permis d’échapper à la discussion qui tournait en rond. J’avais déjà vu cette écriture. Elle impressionnait tous ceux qui ouvraient les registres d’état civil du siècle précédent. Ainsi ce secrétaire amoureux de la calligraphie avait une autre passion. Sur un registre détourné des délibérations municipales, il avait patiemment recensé les familles jugées par lui importantes pour l’histoire de la commune. J’emportai précieusement ce nouveau document qui prendra toute sa place sur la table de mon bureau.

Le fauteuil, la fenêtre, et j’imaginai rapidement les artisans engagés dans la construction de l’église. Ils dominaient le bourg qui lentement voyait sa population prendre de l’ampleur. Le long de la rivière, les paysans, les tanneurs, les carriers, levaient parfois les yeux, se reposant un peu. Les rues étroites seront dures à gravir mais quelle joie quand ils pourront enfin se réunir dans ce lieu tant espéré. Les moines avaient compris qu’ils perdraient un peu de leur influence mais ils faisaient tout de même bonne figure. Il s’agissait de leur foi, ils devaient se réjouir. L’inauguration de l’église avait dû être l’objet d’une fête inoubliable. La religion catholique occupait une grande place dans la vie de la ville. Les chapelles, notamment celle dédiée à St Laurent, près du couvent, étaient très fréquentées. Mais désormais les sacrements seraient donnés dans un lieu commun, qui plus est au plus haut de la ville. Un symbole qui ne pouvait pas laisser indifférents les villageois qui, malgré leur pauvreté, se sentaient fiers de l’endroit que leurs ancêtres avaient choisi. Je les vois regroupés dans la nef, admirant la lumière colorée descendant des vitraux. S’extasiant devant le maître-autel, les statues polychromes, la chaire suspendue le long d’un des gros piliers soutenant la voûte. Les baptêmes, les mariages, et même les enterrements prendraient alors une autre dimension. L’Eglise était parfois un peu dure. Il fallait obéir, suivre des principes rigoureux, payer les dîmes… Mais elle pouvait aussi être un réconfort quand la vie devenait décidément trop dure. Et puis il y avait les fêtes. Seuls moments où l’on pouvait arrêter sans scrupule un labeur bien souvent épuisant.

En rédigeant ces lignes, je pense au combat politique du début de ce siècle. C’est sans doute grâce à lui que j’ai pu exercer les fonctions de maire de la ville. Au siècle précédent, je n’aurai eu aucune chance. J’étais un mécréant, défenseur de la Grande Révolution. Je luttais au grand jour contre le cléricalisme. Pas contre la religion mais contre sa prétention à vouloir intervenir dans les affaires de la Cité. Gorron avait été plutôt modérée pendant la Révolution. La ville avait même combattu les Chouans qui rôdaient dans le canton. Elle n’a jamais été royaliste, contre-révolutionnaire, même si, en règle générale, elle était plutôt du côté du pouvoir en place. Mais la religion occupait une grande place. Je suis arrivé au conseil municipal grâce à une coalition des radicaux, un peu socialistes et des personnalités engagées dans la pré-industrialisation de la commune. Mais les adeptes du progrès, acteurs des activités économiques nouvelles, restaient malgré tout enracinés dans la foi ancienne. En continuant ma rédaction, je touche du doigt l’origine de cet enracinement. Et si je ne peux pour autant me résigner à suivre le plus grand nombre, je revendique malgré tout une lignée commune. Moi aussi je devais avoir des ancêtres qui s’étaient réjouis de l’église nouvelle. Et j’ai le sentiment, là, ce soir, de faire partie de cette communauté, parfois divisée, parfois parcourue de tensions trop fortes, qui aide tout un chacun à vivre. La sérénité n’est sans doute pas le fruit du seul travail interne. Ce travail pour être efficace a besoin de la relation aux autres. Et cette évidence un moment oubliée me comble de joie.

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  • : Principalement axé sur l'histoire locale (ville de Gorron), ce blog permettra de suivre régulièrement l'avancée des travaux réalisés autour de ce thème.
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Vous trouverez dans ce blog trois thèmes liés à l'histoire de la ville de Gorron. Les différents articles seront renouvelés régulièrement. Ceux qui auront été retirés sont disponibles par courriel à l'adresse suivante : jouvinjc@wanadoo.fr

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