Le danger se précise…
Est-ce la perspective d’aller retrouver les auteurs des documents empilés sur ma table d’écriture ? Cet accord avec moi-même que j’ai évoqué hier soir ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je me suis endormi paisiblement. La douleur au coude, plutôt légère, semble avoir trouvé sa place. Après tout, j’ai bien vécu avec mon mauvais pied toute ma vie. Et cette gêne souvent douloureuse m’est devenue familière. Il en sera peut-être de même avec celle du coude. J’aurai seulement moins de temps pour l’apprivoiser. La nuit tint toutes ses promesses. Une belle et jeune femme est venue me visiter. Toute sa peau était comme celle des mains que j’aime. Les pores resserrés, la douceur élastique couvrant une chair pleine. Tout le contraire de celle que mes mains tâchées de fleurs de cimetière arborent. Cette vieille peau ressemble plus à un faisceau d’alvéoles. Un peu comme celles d’un rayon de ruche. En moins régulier. Bref, je crois n’avoir rien ignoré de la surface entière du corps ambré qui se mouvait sur le mien. Un bien-être ignoré, ou en tous les cas bien oublié. Quand je repense au fiasco un peu ridicule d’un rêve déjà relaté ici, j’en suis encore ébloui. Bien que totalement passif, une vigueur nouvelle a répondu à l’avancée chaude et humide. Cela fut très long et s’est éteint sereinement, sans cette explosion qui, à mon âge aurait été un peu gênante. Je ne dirais pas que je me suis réveillé oublieux de mon corps douloureux. Mais la volonté et la joie étaient là, à peine levé.
On m’attendait avec une certaine inquiétude à la mairie. Pour les rassurer j’ai, avec je l’admets une certaine désinvolture, lancé un « quoi de neuf ? » légèrement déplacé. Il y avait effectivement du neuf, et du lourd. Le pacte germano-soviétique. Alors que les pourparlers entre l’Angleterre, la France et l’URSS semblaient pouvoir contenir l’attitude belliqueuse de l’Allemagne et l’Italie alliées dans le Pacte d’acier, la neutralité des Soviétiques était un mauvais signe donné aux dictateurs. Le premier adjoint lui-même exprimait quelques craintes. Tant qu’il ne s’agissait que de petits pays lointains, de peuples mal définis, les annexions pouvaient être pardonnées. Mais s’il était désormais question de la sécurité de la France, c’était une toute autre affaire. Il accusa encore les démocraties de vouloir s’accommoder d’une guerre pouvant régler leurs problèmes économiques mais faire prendre des risques au territoire national devenait insupportable. Paradoxalement, c’est le secrétaire de mairie qui tenta de le rassurer. La ligne Maginot, tout de même… Oui, mais à condition qu’à l’est, les Soviétiques assurent la pression. Le premier adjoint se doutait un peu de leur duplicité. Ce doute recréa les deux camps. On oublia les dangers d’une invasion pour s’affronter avec toujours autant d’à peu près et de mauvaise foi. Je les écoutais, amusé tout en réfléchissant à la légitime défense. Le recours à la violence pour préserver ma vie et celle de mes proches, pas de difficulté à l’envisager. Et celle de moins proches, mais tout aussi faibles, agressés sous mes yeux ? Sans doute aussi. Mais je me refusais encore à envisager un recours à la force de manière préventive. La France ira-t-elle jusqu’à la déclaration de guerre ?