Elle
« Il est vrai que la deuxième grande séparation a changé quelque chose. Bien sûr tu me manquais. Mais il n’y eut plus ces moments dépressifs pendant lesquels j’étais pleine de toi et uniquement de toi. Ça allait mieux avec ma mère. J’étais devenue une vraie jeune fille. Nous avons pu parler de notre relation. Elle a évoqué sa grande erreur de jeunesse et m’a à nouveau fait promettre d’être prudente.
C’est peut-être là que le doute a émergé. Il y avait un tel décalage entre ce qu’elle avait vécu avec mon père (dont elle ne pouvait toujours pas me parler) que je me suis demandé si c’était un amour du même type que je vivais avec toi. Au début je m’en défendais. Je voulais que tu sois le seul. Je m’accrochais à ce premier baiser dans la ruelle derrière le bal. Quand je me suis aperçue que je t’étais reconnaissante pour cette première grande émotion, que je me surpris à analyser ce plaisir avec celui que tu me procuras par la suite, le mal était fait.
Je ne suis pas comme toi. Non seulement je ne peux me regarder, encore moins nous regarder, quand tu me caresses, mais je dois être prise entière par ce plaisir. Et le fait même, a posteriori, de prendre du recul par rapport à cette totalité m’était alors insupportable.
Pourquoi ne t’avais-je pas moi-même caressé ? Pourquoi n’avais-je même plus pensé à faire l’amour avec toi ? Ces interrogations ne me quittèrent pas. Je dois te dire aussi, qu’à cette époque, des hommes mûrs, qui autrefois m’effrayaient, ont commencé à me regarder d’une façon particulière. Je sentais leur regard sur mes seins, mes fesses, mes hanches… Dans la rue, au lycée, chez moi, même. Au début cela m’irritait. Et puis, lentement, j’y pris quelque plaisir.
Bien qu’il ne se soit rien passé de concret pendant cette période, ton image s’effaçait un peu quand je pensais à ce que je pourrais vivre toute ma vie avec un autre. Je dois même dire que lorsque je recherchais, seule, le plaisir physique, ma main n’était plus la tienne mais celle d’un de ces hommes. Et il est vrai que lorsque je t’ai revu, à mon retour, j’ai été surprise par ta jeunesse, ta fragilité, que je n’avais jamais remarquées auparavant.
J’ai lutté un moment contre ces pensées qui me distrayaient de toi. J’ai cru un temps y arriver. Ta maladresse m’émouvait. Même si, parfois, je t’en voulais d’être aussi inquiet, si pressé et finalement si frustrant. Et puis je ne supportais plus les brusques interruptions de la montée du plaisir physique dont je te rendais systématiquement responsable.
Le jour du bal dont tu parles, tu as, en plus, à mes yeux été capricieux. Et ton immaturité m’a littéralement explosé au visage. Quand tu as quitté la salle, j’ai su que le retour en arrière serait difficile. Un garçon, plus âgé que nous, m’avait déjà invitée plusieurs fois à danser. Il était grand. Je le trouvais beau. Je me sentais en sécurité avec lui. Sa façon de me tenir, son souffle dans mon cou, les pressions qu’il exerçait imperceptiblement en différents points de mon corps me renvoyèrent brutalement à tes maladresses, tes caprices qui finissaient par me fragiliser.
J’ai flirté avec lui, seulement flirté. Mais, au retour des vacances c’est lui qui était avec moi, qui occupait mes moments de tristesse et de manque. Pendant cette nouvelle période de séparation, je n’ai pas été très honnête avec toi. J’aurais dû tout te dire. J’ai essayé dans une de mes lettres en précisant que je « croyais t’aimer » espérant que tu comprendrais. Mais il n’en a rien été.
Je me demande maintenant si je n’aimais pas un peu cette situation. Je n’avais plus aucun doute sur ton amour pour moi. Tu semblais réellement souffrir de ma froideur. Ça me rassurait. Il me paraît aujourd’hui odieux d’avoir pu penser que je pouvais jouer avec un nouvel homme en sachant que, de toute façon, j’avais un consolateur en réserve vers qui me retourner si l’homme m’utilisait ou me décevait.
Et puis il y eut à nouveau un bal, à mon retour. Décidément, notre histoire est marquée par ce genre de manifestation. Jamais je n’aurais cru pouvoir me conduire comme cela. Tu avais dû sentir quelque chose quand tu m’as demandé de laisser mon sac dans la salle. Un gage, en quelque sorte. Quand je suis sortie retrouver cet homme, je n’étais pas tout à fait consciente de ce qui allait se passer. Mais, quand je suis montée dans sa voiture, je ne pensais plus au sac, ni même à toi.
Nous avons fait l’amour, ce jour-là. Ce fut loin d’être ce que j’avais pu imaginer. J’ai même pensé à ta main pendant un temps plutôt court et désagréable. Mais je savais aussi que tout était fini entre nous et je commençais déjà à regretter ce que j’avais pu te faire vivre. »