La mort du curé Gonnet par l’abbé Fleury (suite)
A peine sortis de table, arriva l’infortuné doyen avec trois de ses principaux habitans qui l’avoient accompagné dans ce triste voyage. Il ne nous dit rien, ne s’aperçut d’aucun de nous. La pâleur, qui avoit remplacé le beau vermillon habituel sur son visage, annonçait la profondeur de son chagrin.
Le curé Garnier et moi partîmes consternés ; nous nous abandonnâmes, dans le chemin, aux plus fâcheuses réflexions. Nous ne savions quoi dire et quoi penser. Nous ignorions l’aliénation de son esprit : si nous l’avions connue, nous ne l’aurions pas abandonné. Il dit la grande messe la nuit de Noël, prit les ablutions et ne savoit ce qu’il faisoit. Le lendemain, il voulut dire la messe du jour ; ses vicaires s’y opposèrent. Il commença les vêpres par le Magnificat. Arrivé dans son salon, il s’assit par terre comme un enfant, se tournant et se retournant de tous les côtés. On voulut le coucher ; il s’y refusa.
Il monta dans sa chambre à neuf heures, et se jeta sur son lit tout habillé. L’infortuné doyen se leva à une heure après minuit, quitta sa soutane pour se revêtir d’une camisole, descendit les escaliers, ouvrit la porte du jardin qu’il ferma avec force, sauta un fossé, traversa plusieurs champs, et se précipita dans un gouffre.
A suivre…