Les plaisirs du « corbeau »
Simonin n’était pas dans la quête de la bonne humeur. Il était entré dans la spirale redoutée. Une idée, une seule, qui tournait en boucle. Elle le réveillait, chaque nuit, vers quatre heures. Ensuite, inutile d’essayer de se rendormir. Il se répétait, sans cesse, les plans nés dans une excitation incontrôlée, après les résultats du second examen. Il les tenait. Il allait se venger. Un moment il envisageait de les réunir et de les confondre. Puis il pensa qu’il était plus judicieux de les prendre un par un. A moins de pouvoir les déstabiliser avant. C’est à ce moment qu’il pensa aux lettres anonymes. Il réunit alors les éléments concrets à sa disposition et l’imagination, nourrie par toutes les médisances villageoises, fit le reste.
« A Gaspard Rouillard. Tu ferais mieux de t’occuper de ta femme plutôt que de t’acharner contre les jeunes filles du village. Cette fois, tu es allé trop loin. Je sais que tu as tué la femme et son enfant près de la Pierre Tournante. La punition va bientôt arriver ! »
Simonin ne pensait pas vraiment que le maréchal des logis était coupable. Mais il voulait savoir pourquoi il était aussi soumis au médecin. Il aurait sans doute pu, dans un moment de colère, frapper la jeune femme qui se serait tuée en tombant. Mais le sang-froid nécessaire pour lier l’enfant et faire croire à un suicide paraissait au-delà des capacités du gendarme. L’imagination lui manquait. Et le contrôle aussi. Ces qualités étaient, par contre, bien présentes chez Hyppolite. A son tour maintenant.
La lettre fut identique à la précédente. Seule variante, il était question de séduire les patientes. Simonin fut surpris de l’émotion qui l’envahit au moment de l’écriture du texte volontairement pauvre et laconique. Cette fois, il voyait bien le médecin préparer son forfait. Et la rage montait, la haine aussi. Un Rouillard frappant une pauvre fille qui se refusait à lui le laissait plutôt indifférent. Mais cet homme froid et calculateur qui avait séduit sa propre femme lier une enfant vivant sur le ventre de sa mère morte… Insupportable !