Le beau-père
Quand sa plus jeune fille lui annonça qu’elle voulait épouser un maître d’école il commença par se révolter. Ce Simonin Guiochet représentait tout ce qu’il méprisait. Pas de force physique, aucune prestance, peu d’argent, de basse extraction… Tout y était. Un de ces minables qu’il aurait bien voulu écraser. Pour le côté intellectuel, c’était un peu plus compliqué. Il raillait volontiers les mains blanches, le manque d’esprit pratique, le plaisir de la lecture. Mais il y avait bien longtemps que ses propres mains avaient perdu leurs cals. Il cherchait à se placer près des administrateurs du département. Dans bien des réunions à la Préfecture, il se sentait humilié par le savoir des « gratte-papiers ». Et quand il fut obligé de demander à Simonin de lui corriger ses appels de subvention, son animosité atteint un sommet.
La course aux subventions, quand il était maire, était son grand cheval de bataille. Sûr de lui, volontiers sans gêne, il mettait constamment en avant ses « victoires » à l’arraché. Toujours au cours de réunions familiales. C’était le seul moment où il s’adressait directement à son gendre. Il cherchait les félicitations. Et quand il voyait Simonin tenu de reconnaître son efficacité, ses yeux brillaient. Ce dernier aurait voulu contester, ternir l’auréole. Notamment devant les deux filles totalement soumises au père. Même Adèle, si clairement rejetée, ne pouvait s’empêcher d’admirer le tyran domestique. Mais Simonin savait qu’il était lui-même incapable de faire ces démarches forcées. Timidité, fierté, orgueil mal placé, il n’avait jamais voulu quémander. Se voir refuser quelque chose l’aurait sans doute aussi atteint au plus profond de lui-même. Dans ces moments-là, il haïssait son beau-père.