Toute puissance
La théorie voulait que le refuge serve à tout membre du groupe éventuellement découvert et poursuivi par les occupants. Dans mon esprit, il paraissait évident qu’il m’était réservé. Qui d’autre que le cerveau, le grand ordonnateur, pouvait occuper cette place centrale, à l’abri de l’extérieur, de laquelle il agissait en maître sur le monde qui l’entourait ?
Tant qu’il s’agit de gamelles, voire de parties d’uniformes, le garde-champêtre enquêta mollement. Le premier poignard subtilisé déclencha une toute autre émotion. Une partie du groupe d’origine trouva de bonnes raisons pour suspendre son action. J’avais prévu ces défections inévitables. Elles permirent de renforcer l’organisation des plus courageux. J’imposais une discipline de fer. Je passais tout mon temps à imaginer des plans d’action, à peaufiner des règlements toujours plus compliqués. L’excitation montait en moi. Je sentais comme un emballement. Une activité intellectuelle en boucle qui me réveillait la nuit. Je ne participais plus à aucune action. Je déléguais, j’imposais parfois des opérations qui devenaient risqués à des fidèles qui m’admiraient. Je passais le plus clair de mon temps dans la petite clairière, au milieu des ronces.
Les seuls repos, les seules parenthèses que je m’accordais étaient les dialogues directs avec Dieu. Je lui concédais encore une place différente de la mienne. Malheureusement, l’idée même de transcendance s’atténuait. Ceux qui croyaient en moi, à ma force intellectuelle, à la justesse de mon raisonnement, à ma volonté inflexible, étaient certes très peu nombreux (de moins en moins nombreux d’ailleurs) mais je leur étais tout puissant. Quand ils me ramenèrent les premières armes, je décidai de les stocker au camp et d’y résider définitivement.