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Le ressentiment
Un jour, alors que sa mère ôtait de plus en plus souvent sa bouche, son nez, ses yeux, et que ses hurlements ne la décidaient pas à les remettre, son père le prit par la main et partit avec lui dans le champ inondé. Avec de nombreux gestes et quelques sons gutturaux, il lui expliqua qu’on allait pêcher. Marscus devrait mettre les poissons sortis de l’eau, et qui se contorsionnaient dans l’herbe, dans le sac tendu par son père. Celui-ci était un habile pêcheur. Quand il pensa avoir suffisamment attrapé de grosses truites qui peuplaient la petite rivière, il ramassa le sac. Marscus ne vit pas la grimace inquiète et irritée. Il ne comprit pas, non plus, la brusque colère. Il avait pourtant mis deux beaux poissons dans le sac et en était fier. Il baissa la tête regardant, stupéfait, les mains de son père faire apparaître d’autres truites qu’il tirait directement de l’herbe.
De retour à la grotte, il courut se réfugier près de sa mère. Mais celle-ci le repoussa et alla discuter avec son mari dans le brouillard bleuté. Depuis ce jour, les soins des yeux étaient expédiés par des mains parfois brutales. Plus de peau fine. Plus de genoux et de poitrine accueillants. Il était debout et s’il pleurait, Ernia le secouait.
Depuis ce jour, Marscus se réfugia de plus en plus souvent dans son flou protecteur. Quand l’Autre émergeait, entrait dans sa bulle ouatée, il savait que rien de bon ne pouvait lui arriver. Quand les cousins voisins venaient rendre visite à ses parents, il avait le sentiment d’être au centre de toutes les conversations. Il s’éloignait un peu. Ne distinguait plus personne. Mais il était persuadé qu’on parlait de lui.