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Le projet
Mais quand il essaya de renouer le dialogue interrompu avec lui-même, tout de suite il sentit comme un manque. Cet « Autre lui » avec qui il aimait tant dialoguer lui semblait absent. Etait-il possible qu’il ne fût pas seul, autrefois, dans cette sphère intime ? Jamais il n’aurait cru que cette compagne de tant d’années, brutalement disparue, s’y était aussi installée. N’y en avait-il pas eu d’autres ? De ces « Fantômes d’autrui » qui, comme certains oiseaux, étaient venus déposer là des œufs étrangers. Il tenta alors de se retrouver. Pendant des années, il avait consigné sa quête des subtils mécanismes porteurs de la « Belle Humeur ». Et de ceux qui, insidieusement la dégradaient. Il était persuadé qu’en traquant cette « Belle Humeur » il allait retrouver ses tendres « Fantômes ».
Il s’acharnait. Il tenta vainement, pendant des mois, de traquer la moindre ouverture. De forcer même la réalité quotidienne. Rien n’y fit. Loin d’entraîner la plus petite évolution, l’exercice de sa volonté se perdait dans un sentiment d’échec, d’inutilité. Quant à sa propre image elle continuait, de ce fait, à se dégrader. Il en était là, à passer son temps dans ses carnets. A relire sans cesse ce qui présidait autrefois à la montée de la « Belle Humeur ». Quand il tomba sur le jour où il avait pris l’apéritif avec ses voisins, il sentit comme un frémissement. Il reprit plusieurs fois ces quelques lignes qui lui faisaient revivre ce qu’il avait bien cru mort. Il pleura. Il pleura sur ce temps disparu. Et il pleura sur sa femme. Non comme il l’avait déjà souvent fait, en empathie avec les personnes qui l’aimaient, mais pour elle-même. Et c’est là qu’il eut l’idée. Le Taillis de la mort, cette maison oubliée, il devait en faire quelque chose. Il en allait de sa propre survie.
Il s’engagea alors dans une entreprise totalement étrangère à ce qui avait été jusqu’alors sa vie. Un projet déraisonnable. Un rêve comme ceux que sa mère, quand il était petit, s’ingéniait à discréditer. Il lui fallait reconstruire cette maison oubliée, au pied du Taillis. Cela lui demanda deux années. Racheter le terrain à un cultivateur réticent. Obtenir le permis de construire. Convaincre les entrepreneurs de s’embarquer dans une véritable galère. Accès difficile, sol à drainer, fondations sur pilotis. Et pendant ces années, il fut quelqu’un d’autre. Il apprit à quémander, à flatter. Il accepta les humiliations. Il pratiqua l’hypocrisie, le mensonge. Il sut être odieux, feindre des colères homériques, y céder quelquefois. Il voulait devenir quelqu’un de sociable. Tout ce qu’il s’était toujours refusé. Par orgueil, timidité. A moins que ce qu’il défendait avant était tout simplement sa propre réalité.