La fin…
Les piqûres, finalement décidées par les deux médecins, semblent avoir rempli leur œuvre. L’après-midi je me suis senti un peu mieux. J’ai repensé à mon propre parcours. Ma mère est morte alors que j’étais très jeune. Mon père, un métayer qui n’était que mon beau-père et m’avait reconnu comme son fils, s’est toujours bien occupé de moi. Pourtant je ne pouvais lui être d’aucune utilité à la ferme à cause de mon infirmité. C’est sans doute pourquoi il avait plutôt facilement accepté mon entrée à l’école primaire supérieure d’Ernée. Aidé financièrement, il faut le dire, par la commune, j’ai ainsi pu poursuivre mes études jusqu’au brevet supérieur. C’est vers cette époque que mon beau-père, beaucoup plus âgé que ma mère a lui aussi disparu. Tout naturellement, j’ai été employé à la mairie. Je suis ensuite devenu juge de paix. Et, compte tenu de mes connaissances en matière de gestion communale, on m’a presque logiquement proposé le poste de maire. J’ai été réélu sans problème pendant toutes ces années. Personne ne m’a jamais rappelé mon passé très modeste. On ne s’est guère intéressé à l’histoire de ma famille. Moi-même, je crois bien avoir évité le sujet plus ou moins volontairement. Pourquoi, ce soir, alors que ma santé est plus que précaire, ai-je besoin de savoir ? Je reprends les documents même si les lignes se brouillent et que ma tête commence à me faire assez mal. Une douleur inconnue jusqu’alors. Il semble n’y avoir guère de doute. Je suis bien l’enfant né chez Louise Beurrier. Ma mère est bien la petite- fille du Chouan Jeannot. Mais je n’arrive pas à démêler les fils embrouillés de la lignée paternelle. Je n’ose comprendre. Pierre Tendron, le second, pourrait bien être mon grand-père…
J’ai décidément bien du mal à terminer la page de ce jour, 17 juin 1940. Mon écriture est de plus en plus difficile. Je ne suis pas bien sûr qu’un autre que moi pourra la déchiffrer. C’est peut-être pour cela que je peux évoquer l’odieuse hypothèse : mon grand-père pourrait bien aussi être mon père…
Epilogue
L’an mille neuf cent quarante, le dix-huit juin à 10 heures du matin, par devant nous Amard Auguste, adjoint au Maire de la commune de Gorron, chef-lieu de canton, Département de la Mayenne, remplissant les fonctions d’officier de l’état civil par délégation spéciale, ont comparu Georges Boivin, âgé de cinquante ans, secrétaire de mairie et François Pillard, âgé de trente-huit ans, tambour de ville, tous les deux domiciliés en cette commune, voisins du défunt ci-après désigné ; lesquels nous ont déclaré que Jean Bottier, âgé de soixante-quinze ans, maire de Gorron, né et domicilié place de la mairie en cette commune, fils des défunts Pierre Lhuissier, cultivateur et Jeanne Bouchefeux, est décédé en son domicile aujourd’hui à quatre heures du matin et après nous être assuré du décès nous avons dressé le présent acte que nous avons signé avec les comparants après leur en avoir donné lecture.
Ainsi se termine « Saga Gorronnaise »… JC Jouvin