Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 octobre 2014 5 31 /10 /octobre /2014 15:59

Un témoignage

« Une levée de terre prolongeait la passerelle en bois de la Thiercelinais. Elle était censée nous permettre d’atteindre le taillis sans trop nous mouiller les pieds. Mais, souvent, les pluies automnales se jouaient de la modeste digue. Et, après deux kilomètres de marche inconfortable, nous devions faire sécher chaussettes et sabots sur l’énorme poêle de notre cantine. Un mot un peu fort pour cette petite salle noire et enfumée où nous prenions notre repas de midi. Souvent un méchant morceau de pain avec un peu de lard. Heureusement, il y avait les pommes de terre qui cuisaient dans la grande marmite posée sur le poêle. Elles servaient aussi à la nourriture des cochons du laboureur qui prêtait le bâtiment à l’école des Bonnes Sœurs. Mais elles nous réchauffaient. Quand j’y pense, je sens encore cette forte odeur, de laine mouillée et de tubercules bouillis, peu agréable mais si protectrice.

Nous croisions souvent le père Payot, bizarrement assis sur le talus broussailleux qui touchait à sa petite maison. Il nous faisait un peu peur. Son feutre tout déformé lui arrivait jusqu’aux yeux. Il nous paraissait sale et méchant. A cause, sans doute, de la canne souvent brandie et de la grosse voix rocailleuse. Il s’adressait pourtant plus à sa pauvre femme qu’à nous-mêmes. Mais nous nous identifions à cette malheureuse qui pataugeait dans le champ inondé. C’est elle qui puisait l’eau dans la petite rivière. Et nous, à la ferme, nous connaissions bien cette corvée réservée aux fillettes.

La morale chrétienne nous enseignait la charité. S’il n’y avait pas eu le méchant bonhomme nous aurions sans doute pris l’anse du seau. L’histoire de la pauvre Cosette nous avait tellement faites pleurer. Et pourtant, certains soirs d’hiver, entraînées par de mauvais garnements, il nous arrivait d’oublier les principes assénés par les Sœurs. Je crois bien avoir moi-même jeté quelques pierres dans la cheminée. Les lamentations de la mère Payot, terrorisée près de son âtre, nous mettaient en joie. Quant aux gémissements du père quand nous frottions les mêmes pierres le long des murs, ils éveillaient en nous des plaisirs interdits.

En ce temps-là, les superstitions étaient encore très fortes dans nos campagnes. Les pierres jetées ou frottées annonçaient, paraît-il, une mort proche. Et la peur et le désespoir du couple crédule nous permettaient de rire d’une angoisse inconnue. Inconsciemment, sans doute, nous commencions cette lente lutte qui nous amènerait un jour à accepter notre propre mort. Mais nous étions bien loin de tout ça. Notre seule angoisse était alors de ne pas souiller notre culotte en riant trop fort…

Quand j’y pense maintenant, je ne suis pas très fière. Bien sûr, je ne crois plus au bruit des pierres. Quoique… Je suis bien contente, à mon âge, que nos murs soient aussi hauts et aussi épais.

Si vous voulez, quand il fera meilleur, je vous emmènerai à l’endroit précis où se situait la maison. Il ne reste plus rien. Le fermier, propriétaire du champ a tout fait raser. Pas une pierre, pas une fondation. Je me suis souvent demandé pourquoi il ne voulait plus rien voir de ce passé pourtant bien connu de ses propres parents… »

L'endroit où se situait la maison.

L'endroit où se situait la maison.

Partager cet article
Repost0

commentaires

G
Au recencement de 1926, Marie Gesland habitait le taillis de la mort <br /> en 1936 Jean Lepont journalier né en 1859 et Marie Gesland journalière née 1868 habitaient le taillis de la mort. <br /> Est-ce que c'est les Payot cités dans le texte.
Répondre

Présentation

  • : Le blog de jouvinjc
  • : Principalement axé sur l'histoire locale (ville de Gorron), ce blog permettra de suivre régulièrement l'avancée des travaux réalisés autour de ce thème.
  • Contact

Texte Libre

Vous trouverez dans ce blog trois thèmes liés à l'histoire de la ville de Gorron. Les différents articles seront renouvelés régulièrement. Ceux qui auront été retirés sont disponibles par courriel à l'adresse suivante : jouvinjc@wanadoo.fr

Recherche