Les défricheurs…
Mon humeur, aujourd’hui était donc un peu morose. Je décidai alors de retourner dans la pièce aux archives. Je retins cette fois un lourd registre de comptes. Il s’agissait des écrits de Pierre Tendron. Je connaissais la famille Tendron qui a participé largement au développement économique de la commune. Je regardais, avec émotion, l’écriture hésitante de l’ancêtre à l’origine de la fortune familiale. Et je vis avec surprise, qu’au-delà des chiffres des achats et des ventes, Pierre Tendron parlait de lui, de ses projets, de ses joies et déceptions. J’emmenai le registre et le rangeai avec les écrits de mademoiselle Lerpin et de Gaspard Beurrier. Et je repris le fil de l’histoire. L’histoire de mon pays qui commençait à me devenir très chère.
D’autres tribus errantes s’installèrent près des ruisseaux et de la rivière. Et, des siècles plus tard, une villa gallo-romaine prospérait près de la Colmont. Mais à part quelques pavages d’une voie romaine qui servit de route vers le Mont-St-Michel, utilisant les gués aux extrémités des étangs qui élargissaient la rivière, il serait bien inutile de chercher la trace de ces Gallo-Romains qui avaient mis en valeur le territoire de la future commune. Notre siècle n’a malheureusement pas l’exclusivité de la folie humaine. Quels pillages, quelles destructions ont pu fait disparaître les réalisations d’une civilisation en marche ? Mystère. Toujours est-il que lorsque quelques moines de la région de Nantes décidèrent d’évangéliser les habitants dispersés dans la forêt d’Ernée, ils durent eux-mêmes commencer par défricher. Je les imagine, fatigués par leur longue marche, arrêtés par la Colmont qui s’élargissait en un premier étang, au pied d’un coteau recouvert d’une forêt épaisse. Ils traversèrent le gué qui s’appellerait Guyard. Après avoir construit en hâte quelques huttes en branchages pour se protéger d’une pluie battante, ils se réunirent dans la plus grande et se concertèrent pour choisir le lieu de leur ermitage. Ils optèrent pour la première butte entre la rivière et le coteau lui-même. Et dès le lendemain ils commencèrent le défrichage. Toute une vie de labeur, de prières et de diffusion de la parole divine. Humbles, pauvres, exemplaires. C’est du moins l’image qu’on a bien voulu donner de ces moines défricheurs. Plus prosaïquement, sans doute, il y eut là aussi des rivalités, des luttes de pouvoir et, dans le couvent qui s’élèvera plus tard sur le lieu appelé la Renardière, bien des consciences eurent à avouer des fautes, conséquences de la faiblesse humaine. Je vais tout de même garder en tête, pour les rêveries du soir, l’image d’un supérieur bon, généreux, respectueux de tous les hommes, même ceux qui refusaient d’entrer dans la communauté chrétienne. Il serait instruit, habile à diriger, évitant les conflits, installant son autorité par l’exemple et la sagesse. Et fatigué, le soir, alors que tout était paisible dans les hauts murs du couvent, il priait encore, en paix avec lui-même.
Cette paix entrevue, cette sérénité, qui ne la cherche pas tout au long de sa vie ? Je m’y suis essayé à de nombreuses reprises. Il y eut des avancées incontestables. Mais aussi de brusques retours en arrière. Le sentiment parfois d’un manque d’unité, d’une volonté défaillante mais heureusement aussi l’espoir que tout peut encore être construit, remis en ordre, inscrit dans une avancée maîtrisée. Ce journal peut peut-être m’y aider. Il suffira pour cela qu’il trouve sa juste place dans les écrits poussiéreux de ceux qui m’ont précédé.