Un devoir de mémoire…
J’avais moi-même envisagé de mettre un peu d’ordre dans les documents entreposés à la mairie. Pas dans les archives déjà bien tenues par notre secrétaire. Un homme dévoué qui avait sauvé des flammes une partie d’entre elles, au risque d’être lui-même brûlé. Mais dans de vieux écrits laissés par des familles peu intéressées par le passé. Le travail appliqué de la demoiselle me rappela le projet oublié.
Il fallait monter un escalier beaucoup trop raide pour mon pied. C’est sans doute une des raisons de mon oubli. La salle des archives était sombre et, naturellement poussiéreuse. Avec une certaine surprise, je pris plaisir à chercher le carton dans lequel étaient rangés les témoignages de nos prédécesseurs. Des carnets, des cahiers de toutes tailles, de toutes épaisseurs. Il m’était impossible de tout descendre à la fois. Je cherchai le plus ancien. Un épais cahier à la couverture cartonnée appartenant à Gaspard Beurrier. Je connaissais vaguement l’histoire de ce maire assassiné par les Chouans après la Révolution. L’écriture était serrée. Des croquis, avec des flèches, des ratures, s’intercalaient dans le corps du texte. Je commencerai par celui-ci et reviendrai mettre un peu d’ordre dans les autres avant de m’y plonger. Je passai l’après-midi à feuilleter les deux documents. A près d’un siècle de distance, la demoiselle et l’intrépide maire avaient eu, apparemment, la même ambition. Même si les écrits paraissaient bien différents : l’un faisait part de l’action à mener, de l’administration de la commune, l’autre racontait l’histoire de la ville ; les deux laissaient une trace. Collective mais aussi personnelle. Et c’est sans doute aussi ce qui avait fait germer en moi l’idée de reprendre ces témoignages qui risquaient d’être ignorés avant de disparaître.
C’est avec une légère exaltation que j’ai cherché un support digne de ma propre contribution à ce devoir de mémoire qui aidait aussi à vivre et… sans doute à mourir. C’est pourquoi j’entreprends, à partir de ce jour, mon propre témoignage, tout en revenant sur ceux de mes prédécesseurs. Je ne sais pas où me mènera ce travail quotidien. Je n’ai qu’une vague idée de son contenu. Il y sera question de Gorron, c’est sûr. Peut-être aussi des moments que traverse notre pays. Mais je pense qu’il y sera aussi question de moi. C’est le plus souvent le cas pour qui s’engage dans la tenue d’un journal quotidien.