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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 10:37

Les principes et la réalité…

Le médecin major, un vrai militaire celui-là, nous reçut à l’arrière du front. Il se donnait beaucoup d’importance à mon goût, mais c’était, paraît-il, son naturel. Les médecins, dans l’armée avaient un statut particulier. Même les officiers étaient sensibles à ce statut. C’était moins leurs connaissances qui les impressionnaient que le pouvoir qu’on leur attribuait. Et c’est sans doute ce pouvoir, dont j’aurai à reparler, qui montait un peu à la tête de certains médecins. Le major était de ceux-là. Il était grand, sec, le port de tête qu’on appelle impérieux. Il avait toujours à la main une cravache de cuir souple qu’on n’attendait pas comme accessoire pour un médecin. Il faut dire qu’il aimait les chevaux. Ou, plus exactement, il aimait son cheval. Celui-ci l’avait suivi jusqu’au front. Et le major le montait souvent quand il avait quelques heures libres. Ce qui était plus fréquent qu’il ne le faisait croire, toujours harassé, toujours débordé, comme tout bon médecin qui se respecte. Ce jour-là, il nous décrivait notre rôle bien particulier. Avec emphase, il magnifiait l’importance de notre action en temps de guerre. Et il insistait lourdement sur le fait que nous n’étions pas tout à fait des soldats. Comme les brancardiers, nous n’étions pas armés. Il fallait surtout bien respecter cette interdiction acceptée par les deux camps. Cela ne nous évitait pas les blessures ou la mort. Il fallait en effet aller au plus près des combats, chercher les blessés et les ramener à l’infirmerie de campagne. En réalité une casemate de bois ensevelie sous la terre remuée par les bombardements, construite à la va-vite et changeant de place en fonction des aléas des attaques. Dans la mêlée, il était bien difficile de distinguer les agents de santé. On dit même que l’ennemi, il s’agissait toujours de lui, prenait de temps en temps pour cible les brancardiers pourtant bien identifiés. Mais on nous l’avait souvent répété : l’ennemi n’avait aucune morale. Le mal était chez lui. Pour nous il n’y avait que le bien. Nous sortîmes donc de la réunion animée par le major avec un principe tout neuf, un peu rassurés. En ne portant pas d’arme, nous devrions être respectés en cas de rencontre inopportune avec des soldats allemands par hasard trop avancés. Ce qui ne pouvait résulter que d’une erreur et surtout pas d’une supériorité guerrière.

J’avais encore en tête cette affirmation martiale, quelques mois plus tard, quand à l’issue d’une attaque/contre-attaque dont cette drôle de guerre avait le secret, je me trouvai dans un secteur qui, pendant quelques heures, n’était plus ni français ni allemand. Les blessés étaient nombreux. Les morts encore plus. Mes brancardiers et moi croisâmes un petit groupe de soldats particulièrement exaltés. La dureté de la bataille, sans doute, les nombreux compagnons décimés. On entendit des cris inhabituels. Dans une casemate à moitié écroulée, les soldats venaient de trouver deux Allemands cachés. Le premier, le révolver à la main fut immédiatement abattu. Je crois bien qu’il en fut satisfait. Il s’agissait d’un sous-officier, ce genre de héros pour qui l’idée, ici, de la Patrie, l’emportait sur toutes autres valeurs humaines. Le second, par contre avait levé les bras et on pouvait nettement distinguer son brassard à la croix rouge qui aurait dû le protéger. Sans arme, nous pûmes le vérifier par la suite, les mains bien en évidence, le médecin fut lui aussi abattu après une légère hésitation. Donc, j’estimais, en connaissance de cause, avoir assisté à un crime de guerre. Je criai et le tireur se retourna vers moi en faisant un geste obscène.

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